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des excès de prépondérance de la vieille monarchie française et des premières grandes coalitions européennes. La puissance de la France, victorieusement consacrée par la paix de Nimègue, s’étend et déborde sur l’Europe. L’Espagne languit et livre ses dépouilles ; l’Autriche est occupée à guerroyer en Hongrie et à se défendre contre les Turcs ; la coalition nouée par la Hollande dans la guerre de 1672 est dissoute. Ce que Louis XIV n’a pas par les armes, il l’obtient de l’impuissance et de la crainte ; les chambres de réunion de Metz et de Brisach, chargées d’interpréter les traités et de préciser l’étendue de nos acquisitions, nous donnent ce qu’une campagne nouvelle ne nous eût pas donné. Il n’y a donc qu’un maître devant qui toutes les résistances ont plié jusqu’ici. Dans ce système de domination envahissante, le Piémont ne pouvait être évidemment qu’une dépendance de la France, et le cabinet de Versailles l’entendait bien ainsi. La prépotence ne s’exerce pas de mille façons ; ce que nous avons vu l’Autriche faire de nos jours en Italie, Louis XIV le faisait de son temps. Par l’occupation permanente de Pignerol et du pays environnant, il avait une clé des Alpes, et il prenait position sur la ligne du Pô en achetant Casale du duc de Mantoue, ce voluptueux sultan du Mincio qui vendait ses places fortes pour entretenir un harem. Louis XIV tenait donc militairement le Piémont, et il voulait le tenir par la diplomatie ; il imposait à la petite cour de Turin, — toujours comme l’Autriche au duc de Modène ou au grand-duc de Toscane, — une alliance offensive et défensive, un traité de garantie réciproque de Pignerol et de Casale d’une part, du domaine ducal de l’autre. S’élevait-il quelques troubles à Mondovi pour les gabelles, aussitôt le cabinet de Versailles offrait ses soldats pour réprimer ces turbulences populaires. Un acte plus grave survint : c’était la révocation de l’édit de Nantes. Il y avait en Piémont une colonie de Vaudois établie dans les vallées de Lucerna, d’Angrogna et de Perosa entre le mont Viso et le mont Cenis. Ces montagnards vivaient paisiblement sous la garantie de privilèges anciens. Louis XIV imposa l’expulsion des Vaudois. On résista d’abord à Turin, on éluda, puis il fallut céder, et un jour d’hiver plus de quatre mille bannis, femmes, enfans, vieillards et malades, furent acheminés vers la Suisse à travers le mont Cenis. Ainsi, occupation de forteresses, interventions incessantes, traités de vassalité, solidarité imposée de politique, Louis XIV tenait le Piémont par tous les liens, et il ne prenait même pas la peine de déguiser sa prépotence, d’adoucir pour cette petite cour de Savoie les désagrémens de la servitude. Les ministres du grand roi parlaient en maîtres à Turin.

C’est alors, en 1084, que paraissait un jeune prince de caractère impétueux, de volonté entière, cachant une âme de trempe vigoureuse sous une frêle enveloppe, et précocement formé à la dissimulation