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événemens, toujours prêt à négocier et à tirer l’épée. C’était son attitude naturelle.


II

La succession d’Espagne, on le sait, s’ouvrit le 1er novembre 1700 par la mort de Charles II, cette ombre de roi, cette représentation frappante, dans sa sénilité précoce et stérile, du déclin d’une grande monarchie. L’Europe n’avait pas attendu jusque-là pour peser dans ses mains les dépouilles espagnoles. Louis XIV et Guillaume III s’entendaient ou avaient l’air de s’entendre pour régler d’avance, par des traités anticipés, la distribution de l’opulent héritage. Le testament de Charles II, qui donnait la couronne d’Espagne au duc d’Anjou, et l’acceptation de ce testament par Louis XIV déjouaient tous les plans. Dès ce jour, la lutte devenait imminente. L’empereur Léopold réclamait la couronne d’Espagne comme un héritage de famille pour son second fils l’archiduc Charles. La Hollande s’effrayait d’une combinaison qui mettait les Pays-Bas espagnols entre les mains d’un prince français. L’Angleterre ne pouvait voir sans jalousie cet accroissement de prépondérance pour la France. L’absurde idée qu’eut Louis XIV de reconnaître comme roi d’Angleterre le fils de Jacques Il mit le feu aux poudres. La mort subite de Guillaume III ne changea rien, la quatrième coalition contre la France était formée, et les armées étaient déjà en mouvement ; pour douze années, l’Europe était en feu.

Ce n’était pas un moment de repos pour Victor-Amédée, placé de nouveau dans l’alternative de se battre, de choisir ses alliances, ou de disparaître sans profit et sans gloire sous le flot des invasions. Il entrait dans la mêlée avec des intérêts ou des prétentions de famille et des intérêts d’agrandissement territorial. Chose curieuse que cette maison de Savoie dans l’histoire des luttes européennes ! Il y a longtemps qu’elle justifie ce mot qu’on a dit d’elle, et qui est le secret de sa politique, — que son importance morale est au-dessus de sa situation réelle. Elle a toujours prétendu à tous les trônes. Charles-Emmanuel Ier eut bien un moment l’idée d’aspirer au trône de France pendant les guerres du XVe siècle. Au moment où s’ouvrait la succession d’Espagne, Victor-Amédée aurait pu prétendre éventuellement à la couronne espagnole, comme descendant de l’infante Catherine, sœur de Philippe III et femme du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier. Par sa femme, la duchesse d’Orléans, fille d’Henriette d’Angleterre et de Charles Ier, il avait des droits à la couronne britannique, et il protestait contre la loi de succession protestante qui appelait au trône les princes de Hanovre. Au fond, la