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auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Maistre avait plaidé une cause contre le domaine et s’était emporté contre les lois réformatrices de Victor-Amédée. Le roi le fit appeler, et lui dit : « Je sais que tu parles mal de moi ; que t’ai-je fait ? — Majesté, répliqua l’avocat, j’ai défendu mes cliens ; j’ai parlé avec force, selon mon devoir, et je ne crois pas avoir offensé mon souverain. — Bien, » dit le roi. Il donna à Maistre des papiers à examiner, lui demanda son avis, puis le nomma à l’emploi d’avocat des pauvres. Il en fut de même de celui qui devait être le ministre Bogino. C’était le fils d’un notaire de Turin que Victor-Amédée fit conseiller d’état avant trente ans.

Cependant cette nature si étrangement active semblait se lasser. À mesure que les années passaient, Victor-Amédée devenait inquiet et sombre ; il se plaignait de sa santé et il se croyait menacé de paralysie ; il sentait sa mémoire le trahir, son esprit se troubler, sa vigueur de résolution s’énerver après cinquante ans de travaux et d’agitation. Sa femme, la bonne reine Anne d’Orléans, mourait subitement en 1728 et il restait seul, fatigué de régner. La perspective d’une intervention nouvelle dans les affaires de l’Europe l’eût réveillé peut-être, mais il ne voyait rien de net dans tout ce mouvement de négociations suivies entre les cours ; il ne voyait poindre aucune de ces occasions qu’il n’était pas homme à laisser fuir, et il retombait dans son humeur morose. Un dimanche, tandis que la cour attendait l’heure de la messe, le vieux roi s’entretenait avec le comte de Blondel, jeune envoyé français qu’il aimait et qu’il prenait quelquefois pour confident. Ils étaient tous deux près d’une fenêtre qui donnait sur le jardin royal, et Victor-Amédée parlait de guerre, d’alliances, de changemens qui pourraient arriver en Italie ; le comte de Blondel, comme s’il eût suivi le fil des pensées du roi, montra de la main les plaines qui s’étendaient au loin et il ajouta : « Ces grandes plaines sont la Lombardie. » Victor-Amédée sourit et répondit : « Je t’entends, mais tu te trompes. » Puis il s’achemina vers la chapelle royale, et arrivant, devant le saint-suaire, il mit la main sur l’épaule de l’envoyé français et ajouta : « On me croit ambitieux, mais je te jure qu’avant peu on s’apercevra que je n’aime que le repos et la retraite. » Le fait est que Victor-Amédée roulait dans son esprit deux idées également imprévues, et dont l’une était l’abdication de la couronne. Une fois plein de cette idée, il s’y attacha comme à tout ce qu’il voulait ; il s’informait de l’histoire de tous les princes qui avaient abdiqué depuis Dioctétien jusqu’à Christine de Suède et Philippe V, sans oublier Charles-Quint, et il discutait les motifs de leur résolution. On voulut le détourner de cette pensée, tout fut inutile : il cherchait la paix de l’esprit. L’abbé Boggio, qu’il prit pour confident, ne put le convaincre en lui disant