Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ambitieux, Pierre Viole[1] s’était de bonne heure, avec son collègue le président Broussel, déclaré pour la fronde, et il appartenait alors tout entier à Mme de Longueville, parce qu’il la savait elle-même dévouée aux intérêts du parti. Lenet, qui avait toujours été pour un accommodement, et qui repoussait en conséquence toutes les mesures un peu énergiques, fort souvent contrarié par le hardi président, le fit rappeler par Condé, sous le prétexte qu’il lui serait plus utile à Paris par son crédit sur le parlement et par son influence sur les frondeurs. Viole en effet, ainsi que l’abbé son frère, inspiré de loin comme de près par Mme de Longueville, suivit Condé avec un entier dévouement et jusqu’à partager son exil.

On connaît Pierre Lenet. Ses mémoires disent assez que c’était un homme d’esprit et de mérite, menant de front avec une égale aisance les affaires et les plaisirs, la politique et la galanterie. Il s’était, à ce qu’il paraît, fatigué assez vite des désordres sanglans de la fronde, et il était entré volontiers dans la conspiration que La Rochefoucauld avait formée avec Mme de Châtillon, dans le dessein d’arracher Condé au parti de la guerre et de l’engager à traiter avec Mazarin. Pour cela, il fallait détruire par tous les moyens l’influence de Mme de Longueville sur son frère, et l’on sait si les conspirateurs s’y épargnèrent. Lenet était trop fin et trop prudent pour se joindre ouvertement à eux ; mais sous main il les favorisait, les informait de tout ce qui se passait à Bordeaux, et sans oser attaquer directement Mme de Longueville, il semait contre elle avec art dans l’esprit de son maître les ombrages et les défiances. Il faut bien qu’il ait habilement servi les intérêts et les passions de La Rochefoucauld et de Mme de Châtillon, puisque celle-ci prend soin de le bien assurer qu’il n’a point affaire à une ingrate, et que si le plan commun réussit, il y trouvera son compte[2]. Engagé dans toutes ces intrigues, Lenet était loin de seconder dans le conseil Mme de Longueville ; ils agissaient presque toujours en sens contraire et furent

  1. Sur le président Viole, voyez Retz, t. Ier, p. 145 de l’édition d’Amsterdam, 1735.
  2. Les papiers de Lenet sont conservés à la Bibliothèque impériale, et forment une longue suite de volumes précieux : c’est le fonds le plus riche à consulter pour l’histoire de la fronde et pour celle de Condé.— T. XXXV, p. 165, Mme de Châtillon écrit de Paris à Lenet, le 13 août 1652, après que toutes les négociations avaient échoué : « Tous les malheurs auraient été levés par un bon accord, de manière que tout le monde auroit été content, et que vous y auriez trouvé votre avantage, car je vous assure que je ne me suis mêlée de rien où l’on n’ait pas songé à vous. » — Vers le même temps : « Je ne vous dirai point de nouvelles des affaires en général, mais seulement de ce qui vous regarde, à quoi je prends la même part comme si c’étoit pour moi-même. J’ai eu bien de la peine à obtenir ce que je désirois ; mais enfin on me l’a accordé. Si nous sommes assez heureux pour faire la paix, vous aurez satisfaction ; mais je ne vous puis encore rien dire de certain, la chose se doit bientôt conclure ou rompre. »