Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marc Botzaris fut un de ceux qui se rendirent en France, où il s’enrôla. Son séjour sur la terre française n’a pas laissé de traces, et nous savons seulement qu’il passa au bout de quelques années à Corfou, pour y organiser un bataillon de Souliotes dont le gouvernement impérial lui confia la formation et le commandement. Colocotroni raconte[1] qu’il le rencontra en 1814, au moment même où un combat allait s’engager entre les Français et les Anglais. Colocotroni était à la solde de ces derniers. Ayant aperçu les Souliotes, il apostropha de loin leur chef, qu’il ne connaissait point encore, et l’invita à venir le rejoindre. Botzaris lui répondit : « Comment veux-tu que je trahisse la cause que j’ai juré de servir ? Que chacun reste de son côté ! Quand les coups de fusil seront tirés, nous nous embrasserons. » Colocotroni apprécia la fidélité de son compatriote, et, après avoir combattu contre lui, il fit de Marc son frère d’adoption, pratique usitée en Grèce entre gens qui s’aiment et s’estiment.

Le séjour de Botzaris en Europe, l’enseignement qu’il tira des grandes choses qui s’y passaient alors, lui valurent une incontestable supériorité sur tous les autres chefs de l’indépendance. Ceux-ci n’avaient pas encore dépouillé les vices fatalement enfantés chez les uns par la longue servitude qu’ils avaient subie, chez les autres par la sauvage liberté qu’ils avaient conquise. Le spectacle de leur rudesse et de leurs rivalités fut trop souvent une source de déceptions pour les Européens qu’un généreux enthousiasme poussa en Grèce de 1820 à 1824, et qui, pleins des souvenirs de l’antiquité classique, s’attendaient à retrouver un Aristide, un Miltiade, un Philopœmen, dans chacun des capitaines grecs. Botzaris seul répondit pleinement à l’attente des étrangers qui combattirent à ses côtés, et réalisa le type rêvé par eux. Les philhellènes que nous avons pu interroger, ou dont nous avons consulté les mémoires[2], s’accordent tous à rendre à cet illustre chef un même tribut d’estime et d’admiration, et leur

  1. Voyez l’Histoire des Evénemens de la Grèce de 1770 à 1830, écrite sous la dictée de Théodore Colocotroni, fils de Constantin, et publiée par les soins de M. Terzetti, Athènes 1846.
  2. Parmi ces mémoires, nous citerons ceux de M. Raffenel, attaché à divers consulats de France dans le Levant pendant les guerros de l’indépendance, de M. Jourdain, officier de marine, qui, ayant passé dans l’armée grecque, y parvint au grade de colonel, de M. Maxime Raybaud, qui fut pendant quelques mois aide-de-camp du président Mavrocordato, et de M. le colonel Voutier ; tous connurent Botzaris. Quant aux philhellènes que nous avons pu interroger, deux surtout nous ont fourni des renseignemens, le docteur Dumont et le général Tourette. Le premier, après avoir longtemps résidé dans la ville de Lamia, vint habiter Athènes, où il est mort depuis peu d’années, entouré de l’estime et de la considération publiques. Le général Tourette, arrivé en Morée comme officier subalterne, se distingua par sa bravoure, resta au service du gouvernement grec, et devint successivement colonel, commandant de la place d’Athènes et général.