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promptement les météores[1] de la Selléide, au sein de laquelle ses compagnons étaient impatiens de se retrouver. Ne jugeant pas que le moment fût encore venu de soulever efficacement la Grèce, il espérait pouvoir rester neutre entre le sultan et son vassal rebelle, et il comptait voir les forces de la Turquie s’user dans cette querelle intestine. En attendant, il voulait, comme les Russes l’avaient voulu en 1790, faire peu à peu de Souli le centre d’une conjuration puissamment organisée ; mais la marche précipitée des événemens allait rendre impossible l’exécution de ce plan.

Sur le conseil du vieux Nothi Botzaris, oncle de Marc, les Souliotes, au nombre de huit cents au plus, en y comprenant les enfans et les femmes, se présentèrent au quartier-général d’Ismaël-Pacha, sous les murs de Janina, pour réclamer de lui l’autorisation de s’emparer à leurs risques et périls des montagnes de Souli, dans lesquelles Ali tenait encore une forte garnison. Ils demandèrent en outre que le représentant du grand-seigneur leur confirmât les immunités et privilèges dont leurs ancêtres avaient joui. Ismaël leur promit tout ce qu’ils voulurent, à la seule condition qu’ils l’aideraient à prendre la ville de Prévésa, que Vély, fils d’Ali, défendait avec opiniâtreté. Prévésa tombait peu de jours après entre les mains des soldats de Botzaris, qui exigèrent aussitôt le prix de ce service. Ismaël trouva de mauvaises raisons pour ajourner l’exécution de ses promesses, et Marc acquit la certitude que le séraskier n’avait nullement l’intention de tenir ses engagemens. Les Souliotes, usant de prudence et de modération, se bornèrent à ne prendre aucune part aux travaux du siège, et ils s’établirent, à une petite distance du camp ottoman, dans le village de Saint-Nicolas, situé sur les bords du lac de Janina, au pied du mont Paktoras.

Ali, informé de leur juste mécontentement, ne négligea point cette occasion d’attirer à lui de tels auxiliaires. Le moyen qu’il imagina pour entrer en communication avec eux sans éveiller les soupçons des Ottomans mérite d’être rapporté. Pendant toute une journée, il tourna le feu de ses batteries sur le bivouac des Grecs, qu’il accabla d’une multitude de bombes. Pas une seule n’éclata. Les Grecs, surpris de ce phénomène, brisèrent avec précaution quelques-uns de ces projectiles, qu’ils n’étaient pas éloignés de croire ensorcelés. Chaque bombe était remplie de pièces d’or et contenait un billet, par lequel Ali assignait un rendez-vous dans le château du lac aux parlementaires que les Souliotes voudraient lui envoyer. Il les priait d’allumer trois feux au-dessus du village à la tombée de la nuit, afin de lui indiquer qu’ils consentaient aux pourparlers,

  1. De l’ancien mot grec μετέωα, qui signifie non-seulement météores, phénomènes atmosphériques, mais encore tout lieu élevé dans les airs. Ce terme est très fréquemment usité par les Grecs modernes dans cette seconde acception.