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Mustaï, pacha de Scodra[1], sortit de l’Illyrie pour se jeter par Missolonghi dans le Péloponèse, à la tête d’une armée composée en grande partie de Guègues et de Toxides, les plus aguerris d’entre les Albanais. Les historiens portent le chiffre de cette armée de trente à quarante mille hommes. Son avant-garde, forte de quatorze mille combattans, traversa au mois d’août la Thessalie et le canton d’Agrapha, ravageant tout sur son passage et ne laissant après elle que des solitudes incendiées. Pendant ce temps, de tristes dissensions menaçaient de paralyser le peu de forces que les Missolonghiotes pouvaient opposer à cette redoutable invasion. Le commandement en chef dont Botzaris était investi n’avait pas tardé à exciter l’envie et les frivoles susceptibilités des capitaines réunis autour de lui. Ces derniers, habitués à commander en maîtres absolus dans leurs montagnes, se montraient médiocrement disposés à reconnaître l’autorité d’un chef plus jeune que la plupart d’entre eux : ils l’acceptaient pour égal, non pour supérieur. Le sénat hellénique se crut obligé d’envoyer des brevets de généraux à plusieurs de ces mécontens. C’était là une atteinte portée aux droits de Botzaris ; il pouvait se plaindre, il aima mieux garder le silence, afin de ne pas donner lieu à de regrettables disputes. On reçut à ce moment l’avis de l’approche du séraskier Mustaï. Cette nouvelle fournit à Botzaris l’occasion de sortir noblement d’une situation pénible et compromettante pour ses légitimes prérogatives. Il assembla tous les capitaines, et, tirant de son sein son brevet de général en chef, il le déchira ; puis, en ayant jeté les morceaux à terre, il s’écria : « C’est à l’ennemi qu’il faut aller demander ces diplômes. Après-demain nous verrons lesquels de vous en sont dignes. » Et il sortit de la ville avec quatre cents pallikares. Le jour suivant, toutes les troupes, excitées par l’attrait du péril, le rejoignirent. Le projet de Botzaris était d’arrêter les Turcs avant qu’ils n’apparussent dans la plaine de Missolonghi.

Par une de ces marches forcées que les Grecs exécutaient avec une rapidité merveilleuse et qui leur valurent plusieurs fois de surprenantes victoires, Marc arriva sur les limites du canton de Karpénitzi, par les défilés du mont Plocapari, en même temps que les Turcs débouchaient de l’autre côté par les gorges du Kallidrome. Les Grecs se tinrent soigneusement cachés dans les bois et laissèrent l’ennemi planter ses tentes. Botzaris reconnut l’impossibilité de se mesurer à découvert avec les douze ou quatorze mille hommes qui formaient une avant-garde commandée par le séraskier lui-même. Il donna vingt-quatre heures de repos à sa troupe. Tour à tour exaltés ou intimidés par la grandeur du péril, les Grecs allaient

  1. Scodra ou Scutari, capitale de la Haute-Albanie.