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qui est dit : je fais litière de l’héroïsme, de la sainteté et de la beauté en faveur des vertus modestes de mes voisins. Oui ; mais si je consens à ce sacrifice, c’est parce que M. Elliott me le demande, et parce que je sais qu’il me le demande au nom de ces sentimens éternels qui ont précisément enfanté tout héroïsme, toute vertu et toute beauté, au nom de la sympathie naturelle qui rattache l’homme à l’homme, et au nom de la loi divine qui a proclamé que tous les hommes sont frères. M. Elliott croit-il que, si je ne sentais pas qu’il est un chrétien sincère et qu’il parle en vertu d’un sentiment chrétien, j’aurais prêté un instant d’attention à ses théories ? Les vertus qu’engendre le christianisme, le zèle, la charité, la bonté intelligente, le facile contentement, peuvent seuls donner un intérêt sérieux à des livres issus d’une telle théorie. Le christianisme, si je puis employer cette expression, me sera une garantie contre cette doctrine littéraire. Je serai sûr que la lumière divine ne m’abandonnera pas au milieu des ténébreux méandres où l’auteur me conduira ; je serai sûr que s’il y a dans ces obscures cavernes un rayon égaré, l’auteur me le fera apercevoir ; que s’il y a une parcelle d’or au milieu de cette fange, l’auteur saura l’extraire courageusement pour me la présenter. Je le suivrai sans répugnance, d’un cœur allègre et joyeux, tout animé par son zèle et sa sympathie dévouée.

J’ose affirmer que la doctrine littéraire dite réalisme n’a une signification sérieuse et morale que lorsqu’elle émane d’un sentiment chrétien. En dehors du christianisme, elle ne peut produire que des puérilités ou des sottises immorales. Sans doute la réalité vulgaire, la réalité de la ferme et de la rue, de la taverne et de la prison, de la boutique et de l’échoppe, contient des trésors ; mais il faut être chrétien pour pouvoir découvrir ces trésors. Songez à la patience et à l’adresse qu’il faut déployer pour tirer de sa gangue le diamant ignoré, perdu dans un coin au milieu des sordides balayures, — à la fine subtilité qui est nécessaire pour arracher son secret à l’âme obscure qui ne se connaît pas elle-même, à la force d’attention que nous impose l’incorrect et impuissant langage de ces esprits fermés qui résistent à s’ouvrir. Là où l’artiste et le poète ne verraient qu’une expression insignifiante de la souffrance ou une expression ridicule de la joie bonnes seulement à être employées comme élémens de caricature, le chrétien découvre l’élan touchant d’une âme vivante qui demande merci à son créateur, et la naïve gratitude d’un cœur reconnaissant pour l’humble bonheur qu’il a plu à Dieu de lui donner. Ces yeux gonflés par les larmes, ces traits hâves et bouleversés ne sont plus insignifians et vulgaires ; au contraire ils sont d’autant plus touchans qu’ils expriment davantage une âme dénuée de tout ressort, de toute ressource morale, et qui n’a de secours