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L’abondance de la matière ligneuse est si favorable aux progrès agricoles que c’est par des concessions gratuites de bois dans leurs forêts que les seigneurs du moyen âge ont pu attirer sur leurs domaines les populations qui les ont mis en culture. Bien des communes de l’Alsace, de la Lorraine, de la Franche-Comté, n’ont pas d’autre origine que ces droits d’usage. Le bois n’est pas cependant le seul produit des forêts, et dans bien des pays les grands massifs d’arbres sont précieux encore à d’autres titres. Dans les Ardennes par exemple, le sartage est la base de l’agriculture. La partie septentrionale de ce département, qui comprend les arrondissemens de Rocroi et de Mézières, est couverte de montagnes boisées, abruptes, au sol argileux, compacte, humide et froid : elle est sillonnée par trois vallées ou plutôt par trois profondes crevasses, au fond desquelles roulent les eaux de la Meuse, de la Semoy et de la Sormonne : des villages se montrent partout où l’évasement des parois leur a permis de s’établir. Privé de terres arables, puisque la nature du sol n’en permet ni le défrichement ni la mise en culture, l’Ardennais, au moyen du sartage, demande aux forêts une subsistance qui sans elles lui ferait défaut. Après l’exploitation de la coupe annuelle, il répand sur le sol les ramilles, menues branches, ronces, épines, bruyères, etc., qui restent après l’enlèvement des bois ; il y met le feu par un temps très sec de juillet ou d’août, et sème en septembre du seigle qu’il recouvre d’un léger labour. Ainsi ameubli par la chaleur, pourvu, par l’incinération des végétaux, des sels qui lui manquaient, le terrain peut donner de 15 à 18 hectolitres de seigle par hectare et de 3,000 à 4,000 kilogrammes de paille de première qualité, qui sont une ressource importante pour ces populations si peu favorisées.

Dans le Bas-Rhin, c’est aux forêts que le petit cultivateur demande la litière de ses bestiaux, et ce sont les feuilles mortes tombées des arbres qui remplissent cet office. Dans ce département, où la propriété a atteint une division telle que la plupart des parcelles n’excèdent pas 30 ares, on s’adonne surtout à la culture des plantes industrielles, telles que le houblon, la garance, le tabac, culture fort épuisante, comme chacun sait, et qui exige beaucoup de main-d’œuvre. Ne possédant pas de paille ou vendant au dehors le peu qu’ils en récoltent, les petits propriétaires trouvent dans les feuilles mortes une litière suffisante pour faciliter l’entretien de deux ou trois têtes de bétail et procurer l’engrais qui leur est indispensable. L’enlèvement des feuilles mortes se fait aujourd’hui sur une si grande échelle que sur plusieurs points l’existence même des forêts en est compromise. Le sol, périodiquement dépouillé de son engrais naturel, s’appauvrit peu à peu, et la végétation n’y trouve déjà plus les