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bois situés en plaine et dans de bons sols disparaîtront pour faire place à des cultures plus productives, tandis qu’on les verra couronner des montagnes qui sans eux resteraient stériles. La liberté succédant à la réglementation actuelle permettra ainsi aux diverses propriétés de se constituer suivant leurs lois naturelles, au grand avantage des intérêts privés comme des intérêts généraux.

Mais s’il est admis que les forêts sont par leur nature une propriété essentiellement nationale, il ne saurait évidemment plus être question, à cet égard, de jouissance commune. Le partage entre les habitans des produits ligneux qui en proviennent n’est pas le meilleur moyen d’en tirer parti, car il a pour conséquence inévitable d’en déprécier la valeur, et devient par cela même une perte pour la société. C’est par la vente, pendant qu’ils sont encore sur pied, des arbres à abattre que l’on peut en obtenir le bénéfice le plus considérable. L’adjudicataire, maître de façonner ces bois à son gré, tend naturellement à satisfaire les besoins les plus urgens, parce qu’il doit lui-même y trouver son avantage. Cette marche, actuellement suivie dans les forêts domaniales, restreint donc l’action de l’état dans les limites où elle est nécessaire, c’est-à-dire la conservation et la bonne exploitation des forêts, mais elle abandonne avec raison à l’industrie particulière le soin de débiter la matière ligneuse suivant les exigences de la consommation. Le produit de ces ventes entre dans les caisses du trésor, dont il forme une des branches de revenu.

Nous avons essayé de faire connaître ici le rôle de la propriété forestière dans l’économie rurale et de dissiper le préjugé malheureusement trop répandu de son antagonisme avec la propriété agricole. Soit en effet que par leur action bienfaisante les forêts contribuent à la salubrité de l’air, à la fertilité du sol, à la bonne distribution des eaux, soit qu’elles nous permettent de tirer parti des terrains qui sans elles seraient improductifs, ou qu’elles nous fournissent le bois dont la société ne peut se passer, soit enfin que par leur riante végétation elles décorent la campagne et la fassent aimer de ceux qui l’habitent, elles sont pour l’agriculture un auxiliaire des plus précieux. La question forestière n’est donc pas exclusivement, comme on l’a cru jusqu’ici, une question fiscale : elle est avant tout agricole ; son importance sous ce rapport est bien autrement grave pour le pays que sous celui des considérations financières qu’elle peut comporter. La méconnaître, c’est préparer à la France un avenir dont l’Espagne, la Grèce et l’Asie-Mineure peuvent nous donner une idée.


J. CLAVÉ.