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un remède à ce mal par l’institution du colonat ; mais le colonat ne rendit pas le territoire italien au travail fécondant des bras libres, il ne fit que substituer un travail à moitié libre au labeur improductif des esclaves. La guerre pesa d’un triple poids sur cette race infortunée des colons, attachés à leurs champs et serfs de la terre. Les ravages des Barbares, les exactions du fisc, le recrutement militaire se réunirent pour les accabler, et par suite de leur dépérissement, des régions entières restèrent désertes.

Si Odoacre s’était borné à distribuer ces campagnes sans culture et sans maître, en faisant de ses soldats des laboureurs, il eût rendu service à l’Italie ; mais ce n’était point là ce qu’entendait l’armée des nations : il lui fallait, comme aux vétérans de Sylla, aux compagnons de César, à ceux d’Auguste et d’Antoine, les meilleurs champs, du bétail et des bras romains pour la nourrir. Les Visigoths, les Burgondes, les Ostrogoths, établis dans leurs cantonnemens en corps de nation, avec l’attirail complet des peuples nomades, bétail, chariots, instrumens de labour, cultivaient tant bien que mal par les bras de leurs familles les terres qui leur étaient assignées : les Barbares d’Odoacre n’avaient ni familles, ni bétail, ni organisation de travail ; c’étaient des soldats qui n’apportaient que leur épée.

Lorsqu’on cherche dans le passé de l’histoire romaine quelque fait comparable à la spoliation exercée par Odoacre au profit de son armée, il faut remonter jusqu’aux dictatures de Sylla et de César et au triumvirat d’Auguste. Sylla assigna des terres en Italie aux soldats de quarante-sept légions, César y fonda treize colonies militaires, les triumvirs dix-huit, Auguste à lui seul trente-deux ; mais tous ces établissemens, fruits d’occupations tyranniques, furent inféconds pour l’agriculture. « Étrangers à l’usage de se marier et d’élever des enfans, dit à ce sujet un historien romain, les soldats se dispersaient bientôt ; ils désertaient leur champ après l’avoir épuisé, et ne laissaient aucune postérité dans leurs maisons abandonnées. » Dès le temps de Cicéron, les terres distribuées par Sylla avaient presque toutes passé des vétérans à d’autres possesseurs, et les vétérans eux-mêmes mouraient de faim. La colonisation d’Odoacre ne réussit pas mieux : quelques années après, une grande partie de ce tiers barbare était rentrée dans des mains romaines.

Une révolution survenue dans l’empire d’Orient permit à Odoacre d’accomplir son usurpation sans être inquiété par la cour de Constantinople. Zenon avait été chassé du trône, puis ramené par son parti, qui était aussi celui du vieil empereur Léon, protecteur et oncle de Népos. Qu’allait faire Zenon dans les circonstances où se trouvait l’Italie ? Voilà ce qu’on se demandait à Rome, et Odoacre