Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisons paraître bien des misères pour repousser d’odieuses calomnies. Si Mme de Longueville s’est séparée du prince de Conti, ç’a été par une indispensable nécessité, d’abord par respect pour elle-même, ensuite par fidélité à Condé, et la preuve en est que Conti n’échappa des mains de sa sœur que pour tomber entre celles de Mazarin. Ce dénoûment certain jette de la lumière et de l’intérêt sur les obscurs et tristes détails dans lesquels nous allons entrer.

Nous l’avons dit[1] : Mme de Longueville avait jusqu’alors exercé sur le prince de Conti un pouvoir presque absolu par la supériorité de l’âge, de l’esprit et du caractère, et grâce aussi à cette espèce d’adoration chevaleresque que son jeune frère professait pour elle. Sans doute elle eût préféré le conduire par la raison et par l’honneur; mais, à défaut de mieux, elle retenait comme elle pouvait son ancien empire, ne sachant trop quel usage ferait de sa liberté ce faible et capricieux personnage. Il n’y avait rien là que de fort innocent, bien qu’il s’y mêlât un peu de manège et quelque ridicule; mais on conçoit quel parti on pouvait tirer de cette passion étrange contre Mme de Longueville. Mazarin, qui allait à ses fins par tous les moyens, et à qui les frondeurs avaient prodigué toutes les calomnies dans le langage le plus cynique, se défendait de la même manière, et ne se faisait pas faute de répandre des bruits injurieux sur le frère et la sœur. De là bien des chansons et des mazarinades, armes de guerre utiles en leur temps, mais qui n’ont pas la moindre valeur auprès de l’histoire. Pas un homme sérieux au XVIIe siècle ne s’est arrêté à ces propos de parti, et Retz, qui certes n’est suspect envers personne d’un excès de bienveillance, ne les rappelle que pour leur donner un formel démenti[2]. Le moment arrivait où cette affection exaltée devait finir avec les chastes ardeurs de la première jeunesse; mais, au lieu de s’affaiblir successivement et de mourir en silence, elle se brisa, non sans quelque scandale, à Bordeaux en 1652.

Le prince de Conti s’était fait une petite cour de serviteurs intéressés, qui flattaient à l’envi ses défauts, cette vanité inquiète et jalouse qui était le fond même de son caractère et qui entrait dans tous ses sentimens, surtout le goût naissant des plaisirs. Parmi ces courtisans étaient au premier rang deux beaux esprits célèbres, Sarasin, secrétaire des commandemens du prince, dont ailleurs[3] nous

  1. Voyez la dernière livraison, p. 765.
  2. Il dit avec le ton leste et dégagé qui lui est ordinaire, t. Ier, p. 183, édit. d’Amsterdam, 1735 : « L’amour passionné du prince de Conti pour sa sœur donna à cette maison un certain air d’inceste, quoique fort injustement. »
  3. La Société française au dix-septième siècle, t. Ier, ch. Ier, p. 48 et suiv., surtout t. II, ch. XIII, p. 208-213.