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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/134

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ainsi travesti dans une troupe de cavaliers qui couraient partout à sa découverte, et où on ne s’avisa pas de l’aller chercher. Il demeura dans la ville jusqu’à la fin de l’affaire du père Ithier, et ensuite il trouva moyen de se sauver encore une fois à Blaye. Furieuse de ne pouvoir mettre la main sur lui, l’Ormée s’en vengea sur tous ceux qui étaient compromis dans l’interrogatoire du père Ithier. On arrêta plusieurs membres du parlement, et c’est en cette occasion que le président d’Affis, qui autrefois avait rendu tant de services à Condé, fut mis en prison. Le curé de Saint-Pierre, qui déjà, dans le mois de janvier, avait été assez mal traité par l’Ormée, eut cette fois une jambe et un bras rompus. On enferma dans une tour le curé de Saint-Rémy. La maison de l’un des principaux conjurés fut ravagée jusqu’aux serrures et aux verroux des portes. Le parent du père Ithier, vieillard septuagénaire, fut soumis à la question ordinaire et extraordinaire tant de fois qu’il resta pour mort étendu sur le chevalet. Le lendemain du jour où leur père gardien avait été arrêté, les cordeliers étaient sortis de leur couvent et étaient allés à l’hôtel de ville demander sa délivrance, marchant processionnellement et avec le saint-sacrement. Pour toute réponse, les ormistes se rendirent dans leur couvent, et lorsque les religieux voulurent y rentrer, ils les battirent, les chassèrent, et mirent à leur place une garnison de calvinistes qui, au nom de la liberté religieuse entendue comme on l’entendait alors en Angleterre, s’y livrèrent à tous les excès.

Pourquoi, au milieu de tant de violences, la mère Angélique et les petites carmélites furent-elles respectées? Le nom de la bonne religieuse ne fut pas même inscrit au procès-verbal, et quoiqu’elle fût au plus haut degré coupable envers l’Ormée, dont elle avait séduit un des chefs, l’Ormée ne la poursuivit pas : on se contenta de lui faire quitter Bordeaux, et la sainte maison n’essuya aucune avanie. Ne faut-il pas reconnaître ici la main puissante de Mme de Longueville? Supérieure à l’esprit de parti, elle tâchait au moins de réparer en détail, autant qu’il était en elle, les conséquences les plus désastreuses des mesures que commandaient les circonstances et les ordres secrets de Condé. Dès qu’elle avait appris l’arrestation du président d’Affis et qu’on menaçait de lui faire un mauvais parti, elle s’était émue, et avait demandé[1] qu’on lui envoyât quelques douceurs dans sa prison. D’abord on l’avait enfermé dans ce qui restait du château du Hâ, où il était sous la main de l’Ormée; on le transféra dans le couvent des récollets, sous une moins dure surveillance[2], et le digne président, comme naguère son intrépide collègue Massiot, put échapper à la vengeance de ses ennemis.

  1. Papiers de Lenet, t. XXXV, lettre de Mme de Longueville à Lenet.
  2. Gazette pour l’année 1653, p. 360-361 : nouvelles de Bordeaux du 3 avril.