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leste-Empire. D’après le médecin, l’insurrection était à ce moment bien malade : elle ne vivait que d’expédiens et de rapines ; les populations honnêtes s’éloignaient d’elle, ou ne subissaient qu’avec la plus profonde répugnance l’autorité des maîtres de Nankin. D’un autre côté, ajoutait-il, il ne fallait guère compter, pour comprimer la rébellion, sur les troupes impériales, celles-ci n’étant pas de force à lutter contre des mécréans qui avaient le génie du mal et ne reculaient devant aucun crime. On devait donc laisser les choses à leur cours naturel, faire simplement le vide autour de l’insurrection ; elle mourrait alors de sa belle mort, noyée dans le sang et étouffée sous les ruines qu’elle avait amoncelées. Telle était la politique de l’excellent médecin de Min-hang. M. Edkins, qui dans cette conversation servait d’interprète, ne pouvait entendre sans regret une description aussi peu flatteuse du caractère des rebelles et l’opinion exprimée sur leur fin prochaine. Les missionnaires protestans s’étaient fait au début de grandes illusions au sujet de l’insurrection chinoise, dans laquelle ils n’entrevoyaient rien moins qu’une révolution politique et la régénération religieuse et morale du Céleste-Empire. On leur avait dit que le chef des rebelles s’inspirait du Nouveau-Testament, qu’il poursuivait les idolâtres, prohibait l’opium et le tabac, etc. Tous ces récits étaient en apparence exacts ; mais il fallait y ajouter que les nouveaux apôtres poursuivaient comme idolâtres les chrétiens aussi bien que les bouddhistes, que leur religion, tout en pillant au hasard quelques lambeaux bibliques, n’était qu’une nouvelle sorte d’idolâtrie, et que s’ils proscrivaient l’opium, ils pratiquaient largement les vices les plus odieux. Bien que ces révélations se soient fait jour et que l’insurrection de Nankin ne soit plus considérée généralement que comme une misérable entreprise révolutionnaire, quelques protestans conservent encore leurs premières illusions et ne désespèrent pas de voir bientôt la Chine convertie au christianisme. M. Cooke ne partage point ce sentiment, pas plus qu’il ne croit au succès du régime recommandé par le médecin de Min-hang. Il prit congé de l’aimable docteur après mille politesses : c’était le premier gentleman chinois qu’il eût rencontré.

À quelques milles au-dessus de Min-hang, les voyageurs arrivèrent au confluent des deux rivières dont la réunion forme le Wang-pou. L’une de ces rivières vient de la célèbre ville de Sou-tcheou ; l’autre coule du sud, et ce fut dans ses eaux que s’engagea la petite escadre. Elle traversa successivement les villes de Kia-hing et de Kea-shing, entra dans le canal impérial et s’arrêta à la cité de Hang-chou, qui devait être la principale étape du voyage. On retrouve dans le récit de M. Cooke les descriptions de pays, les scènes de mœurs, les impressions générales qui donnent tant d’intérêt aux relations de