Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il s’indigna presque de cette immixtion irrégulière dans un détail de l’administration chinoise, et il est bien à craindre que la leçon d’humanité donnée par l’ambassadeur anglais ne soit aujourd’hui complètement oubliée. Et pourtant les registres de la prison sont tenus avec le plus grand ordre ; les règlemens émanés de l’autorité sont justes, sensés, empreints de bienveillance. En Chine malheureusement, comme le remarque avec raison M. Cooke, la règle et la pratique sont deux choses très différentes, et c’est ce qui explique les appréciations erronées qu’ont souvent portées sur le gouvernement chinois les écrivains qui n’ont étudié le Céleste-Empire que dans les livres. « Défiez-vous des sinologues, défiez-vous des interprètes, s’écrie M. Cooke ; les uns et les autres se trompent et vous trompent ; ils sont plus Chinois que les Chinois eux-mêmes ; ils adoptent trop aisément les idées qu’ils traduisent ; ils ajoutent foi trop volontiers à ces déclarations écrites qu’eux seuls peuvent comprendre. Interprètes et sinologues ont fait jusqu’ici fausse route, et, par leur respect exagéré pour les formes chinoises, ils ont compromis la situation des représentans de l’Europe en face des mandarins. Il convient de changer immédiatement de système, il convient de laisser là ces expressions de politesse obséquieuse qui sont peut-être conformes aux habitudes chinoises et aux prescriptions du livre des rites, mais qui surchargent et dénaturent le sens de la pensée européenne. Nous avons assez longtemps parlé ce langage, il est juste que les mandarins entendent à leur tour et comprennent le nôtre. Bref, les Chinois sont gens à mener rondement ; sans cela, nous serons encore obligés d’assiéger et de prendre Canton. » — Telle est l’opinion de M. Cooke. Sans offenser les interprètes, dont les services sont nécessaires, ni les sinologues, qui ont leur utilité, on peut se ranger à cet avis.

Il avait été résolu par les ambassadeurs que le vice-roi Yeh serait envoyé à Calcutta. L’illustre prisonnier fut expédié d’abord à Hong-kong., Après avoir assisté à la prise de Canton, visité Shang-haï, Ning-po, Chusan, et aspiré ainsi en courant quelques bouffées de Chine, le correspondant du Times jugea que sa mission était à peu près terminée, qu’il en avait assez écrit sur la situation politique et économique du Céleste-Empire, et qu’il pouvait sans inconvénient opérer sa retraite. Quelque intérêt que présente la Chine, il faut avouer que, pour les voyageurs qui n’y sont point retenus par un devoir ou par une nécessité impérieuse, une année de séjour est très suffisante. Au bout de ce temps bien employé, on doit y avoir appris tout ce qu’on peut savoir d’un pays dont on ne parle pas la langue, et dans lequel les étrangers n’ont pas encore été admis à nouer des relations familières avec la société indigène. On pourrait passer dix ans à Canton sans voir le visage d’une lady,