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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/210

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fâcheuse, car, en imposant d’avance la sagesse, elle rend impossible toute initiative. La presse au XVIIIe siècle était assujettie à une législation en apparence plus sévère que celle de notre temps, puisque la peine de mort y figurait, et pourtant Voltaire passa à travers les larges mailles du filet de la censure. La première édition de l’Esprit des Lois ne put être imprimée en France; mais en dix-huit mois il en fut fait vingt-deux éditions clandestines. De nos jours, un pamphlet de Hollande serait arrêté au premier relais. L’extension des services publics, en plaçant entre les mains de l’état des intérêts chers à tous, a mis la société entière dans la dépendance du gouvernement. Dans un tel régime en effet, tous ont besoin de l’état à un certain jour, et celui qui se met en dehors de l’ordre officiel est, comme un ilote, privé de ses droits naturels. On arrive de la sorte à constituer une aristocratie de fonctionnaires, ayant la plupart des inconvéniens de l’ancienne, sans offrir les mêmes garanties.

L’école libérale de 1830, en rêvant une royauté républicaine, au lieu de fonder une royauté limitée, gouverna en réalité plus que personne. Au lieu de diminuer la royauté, tous à l’envi travaillèrent à l’augmenter. La vraie conduite libérale eût été de rendre à l’individu le plein pouvoir d’exercer son action pour le bien et pour le mal dans la limite où le droit des autres n’est pas violé, de laisser les corporations, les associations, les réunions de toute espèce s’établir, de créer ainsi entre les hommes des liens différens de ceux de l’état. On suivit une voie tout opposée : le grand reproche que l’opposition adressa au gouvernement fut de ne pas assez faire, c’est-à-dire évidemment de ne pas assez gouverner. On crut sauver la liberté en disputant au roi le droit de gouverner par lui-même et en essayant de transporter au conseil des ministres la pleine souveraineté: discussion assez stérile, car il m’importe assez peu par qui je suis gouverné, si je suis trop gouverné. Certes les garanties parlementaires sont indispensables, car sans elles tout gouvernement est amené par la force des choses à empiéter sur ce qui ne le concerne pas; mais ce qui importe avant tout, c’est que ceux qui gouvernent, quels qu’ils soient, se renferment dans les bornes prescrites par les droits de chacun. En politique, la liberté est le but qui ne doit jamais être sacrifié, et auquel tout doit être subordonné.

A vrai dire, l’opposition libérale, en poussant de plus en plus la France dans cette voie de gouvernement, ne faisait que suivre la tradition de la révolution, comme la révolution ne faisait que suivre le mauvais exemple de la royauté des deux derniers siècles. Un publiciste éminent, dont la France éclairée porte le deuil, a démontré, dans le plus beau livre de philosophie politique et historique qui ait paru en ces dernières années, que la liberté n’est pas