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Voilà, en quelques lignes, une assez vive peinture de la situation de l’Autriche en Europe. Je ne sais si jamais sa force et sa faiblesse, les avantages et les périls de son rôle ont été exposés avec plus de finesse et de précision. Le mot hégémonie, qui revient si souvent dans cette discussion et qui a cours depuis longtemps dans la langue politique de l’Allemagne, est une expression grecque qui signifie le commandement, la suprématie. Dans une réunion d’états indépendans l’un de l’autre, mais associés par des intérêts communs, l’hégémonie appartient à celui qui dirige cette association, qui en est l’âme et le bras. Dire que l’hégémonie italienne appartient aux Habsbourg, c’est dire que les souverains de la péninsule ne sont ou n’étaient que les lieutenans de l’empereur d’Autriche. Or, si le publiciste du Messager de la Frontière reconnaît que l’Autriche était parvenue à posséder l’hégémonie dans la péninsule, comment peut-il soutenir en même temps que la guerre actuelle est sans motifs, et cache de secrets desseins contre l’Allemagne? Quoi! il proclame que l’adversaire naturel, nécessaire, de la domination de l’Autriche en Italie, c’est la France; il proclame que cette domination existe, que l’Autriche, par des alliances secrètes, est sortie de ses frontières, qu’elle a violé le pacte européen pour s’emparer d’une hégémonie qui ne saurait lui appartenir; il proclame tout cela, et il ne veut pas que la France se sente menacée! Voilà certes une contradiction étrange. La contradiction est double, si l’on remarque l’attitude de l’écrivain dans ce débat. Ce publiciste qui semble nous reprocher des inquiétudes sans motifs, il est irrité lui-même de voir que depuis une dizaine d’années l’hégémonie allemande appartient à l’Autriche; il proteste contre cette usurpation, il y signale une violation des traités de 1815, de ces traités qui ont fait une part trop belle à l’Autriche, une part trop petite à la Prusse; il proteste, et il s’étonne que la France, placée vis-à-vis de la dominatrice de l’Italie comme la Prusse vis-à-vis de la dominatrice de l’Allemagne, ait enfin tiré l’épée pour mettre un terme à cette usurpation et affranchir l’Italie du joug des Habsbourg!

Oublions les contradictions de l’écrivain allemand et prenons acte de ses aveux. On voit que nous avons déjà fait bien du chemin avec le publiciste du Messager de la Frontière. Il a établi d’abord, dans sa réponse à M. de Lerchenfeld, que les états allemands ne seraient plus que des provinces autrichiennes, s’ils soutenaient les yeux fermés la politique extérieure de l’Autriche; il a reconnu ensuite que cette politique était mauvaise, et il a défendu les droits de la nation italienne; il a déclaré avec force que, si l’Allemagne prenait part à cette lutte, il fallait que ce fût pour défendre un intérêt allemand et non pour soutenir les iniquités sous lesquelles gémissait l’Italie; enfin il a reconnu (dans les principes qu’il pose, sinon dans les conséquences qu’il en tire), il a reconnu que la France était naturellement intéressée et nécessairement obligée à détruire l’illégitime domination des Habsbourg dans la péninsule. Telle est, débarrassée de ses accessoires, la polémique d’un recueil sérieux, vraiment germanique et vraiment libéral.