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organiser l’Italie par les délibérations diplomatiques, et conformément aux vœux de ces populations ; mais pour la direction de ces vœux dans une voie salutaire, pour qu’ils aient cette puissance que donnent l’unanimité et la spontanéité, pour qu’ils ne soient pas traversés et affaiblis par d’intestines dissensions, de quelle importance n’est-il point que les résultats décisifs de la guerre s’accomplissent promptement ! Il faut rapporter encore à cet intérêt vital de la bonne organisation de l’Italie les résultats politiques d’un aussi grand fait de guerre que la bataille de Solferino.

Par une curieuse coïncidence, c’était au moment où la guerre prenait une tournure décisive qu’il nous était enfin donné de connaître la suite et l’ensemble des causes qui l’ont rendue inévitable. Nous devons cette intéressante, mais tardive information au volumineux recueil que le cabinet de lord Derby a publié avant sa retraite, et où est réunie la correspondance diplomatique entretenue par lord Malmesbury avec les agens anglais auprès des cours européennes touchant les affaires d’Italie depuis le mois de janvier jusqu’au mois de mai de cette année. Tandis que le public s’alarmait des effets d’une crise que l’on ne semblait pourtant pas renoncer encore à voir conjurer par la diplomatie, nous nous sommes plaints bien souvent de l’ignorance où nous demeurions sur les points en litige et sur des discussions qui pouvaient avoir de si redoutables conséquences. La lumière qui nous vient aujourd’hui n’arrive, il est vrai, qu’après coup ; elle ne peut plus guider l’action de l’opinion sur le dilemme qui s’est posé il y a six mois entre la paix et la guerre : elle s’adresse cependant à quelque chose de plus élevé que le sentiment de la curiosité. Quoique les délibérations qui ont précédé la guerre n’aient pas pu la prévenir, elles ne sauraient manquer d’étendre leur influence et sur la conduite de la guerre elle-même et sur la paix qui la terminera. L’on y peut discerner les positions prises par les diverses puissances et présumer d’après ces données leurs allures ou leurs résolutions futures. Ce ne sont donc point seulement des informations rétrospectives que contiennent les documens soumis au parlement anglais : ils fournissent des renseignemens utiles pour le présent et pour l’avenir.

Si nous voulions définir d’un mot le caractère du débat dont le blue-book de lord Malmesbury nous livre la vaste instruction, nous dirions que la lutte diplomatique engagée entre l’Autriche d’une part et de l’autre la Sardaigne, organe de l’Italie et cliente de la France, a été une lutte entre le droit écrit et l’équité. Ce sont de terribles contradictions dans les affaires humaines que ces conflits à outrance, qui mettent aux prises la légalité et la justice, car ils n’ont de recours extrême et d’arbitre que la force. Il y a plus que de l’imprudence, il y a souvent une témérité coupable à pousser ou à laisser venir les choses à de telles extrémités. Il est difficile pourtant d’attacher à des noms propres la responsabilité de ces crises, parce que cette responsabilité se partage ordinairement entre un grand nombre d’hommes. La plupart du temps, il serait injuste de l’imputer tout entière aux contemporains, parce que les fautes accumulées des générations passées ont créé en quelque sorte une force des choses, une fatalité qui ne laisse plus qu’un étroit domaine au libre arbitre des générations présentes. Enfin le droit écrit est lui-même une forme si essentielle de la justice, que ses défenseurs peuvent