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hypocrites. — Décrivez, dirons-nous aux écrivains belges, décrivez sans précautions oratoires ce que vous aurez observé ; mais ayez plus de talent, et parlez mieux français.

M. Louis Hymans, dans ses scènes de mœurs bruxelloises, s’est donc pris à l’intrigue et non aux sentimens, à la réalité violente et non à l’analyse des caractères : c’est ce que témoigne encore une autre étude intitulée la Famille Buvard. Ce roman nous paraît supérieur à la Courte Échelle. Il y a plus d’unité et de savoir-faire, le sujet s’y trouve à la fois plus concentré et mieux développé, et les figures qui sont données comme des types y sont plus logiquement étudiées, bien qu’elles tombent parfois dans leur défaut ordinaire, qui est de friser la caricature. Voici, par exemple, M. Buvard, le type de l’administrateur corrompu, ganache et solennel. Ce M. Buvard (un faux bonhomme !), dont la femme, créature sensible et opprimée, serait intéressante si elle n’avait une passion ridicule pour certains petits poissons rouges, s’est fait faire son portrait en pied, où il est représenté « en habit brodé, orné de toutes ses croix, et tenant à la main son chapeau à plumes de cygne. » Eh bien ! ce portrait est dû « au pinceau d’un peintre d’animaux ! » De semblables détails donnent la mesure du ton satirique dans lequel l’ouvrage est composé. Quelquefois amusans, ils choquent néanmoins parce qu’ils ne sont point jetés çà et là comme des traits significatifs, mais parce qu’ils constituent le principal objet du livre, tandis qu’ils devraient simplement compléter la description des caractères. Or il n’y a guère en définitive qu’un caractère dans la Famille Buvard, c’est celui d’une jeune fille coquette, ambitieuse et froide, qui, trompée par les galanteries d’un fat et par la sottise de son père, manque ce qu’on appelle un beau mariage et ne le pardonne pas à ceux qui l’entourent. Cette figure est fermement tracée ; elle intéresse, malgré certains côtés odieux, parce qu’elle est véritablement vivante. Ajoutez à ce caractère l’exposition, où l’auteur nous introduit dans la famille Buvard, et qui ne manque ni de vivacité, ni de coloris : vous aurez ce que le roman contient de mieux.

Un autre écrivain belge, M. Émile Leclercq, s’est attaqué aussi aux études de mœurs. Il use à peu près des mêmes procédés, et il offre dans la forme les mêmes défauts, et, si l’on veut, les mêmes qualités que M. Hymans ; mais il dirige autrement son inspiration. Ce n’est pas la vie politique ou administrative, c’est la vie privée qu’il s’exerce à traduire. Tandis que M. Hymans choque les uns contre les autres les faits et les personnes, M. Leclercq cherche plus volontiers à les combiner. Il en résulte chez ce dernier écrivain des qualités plus prononcées de composition ; mais ce que l’auteur de la Famille Buvard exagère dans un sens, l’auteur de l’Avocat Richard[1] l’exagère dans l’autre. M. Hymans voit partout des types, M. Leclercq partout des caractères ! Tous deux savent observer, tous deux puisent dans la réalité ; mais l’un y reste volontairement, l’autre essaie de s’en dégager et d’arriver progressivement à l’unité et à la vérité. Les épisodes de M. Hymans, isolés entre eux, sont peut-être plus saillans et plus vifs ; un lien visible maintient au contraire les faits dont M. Leclercq compose son

  1. 2 vol, in-32, édition A. Schnée.