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grands, moins réels, moins certains, que les dangers de la liberté illimitée de l’individu pensant. Le retard apporté par une censure ou une prohibition à quelque découverte inconnue qui peut ne pas avoir lieu ne saurait quelquefois, souvent même, entrer en balance avec le dommage porté indirectement, mais effectivement, à la société, c’est-à-dire à tous les tiers, par les opinions ou les actions personnelles de celui qui semble en s’égarant ne compromettre d’abord que lui-même. Et pour citer la plus odieuse et la moins plausible des oppressions, on ne saurait affirmer que jamais la liberté de penser en matière religieuse n’ait amené dans une société jusque-là paisible plus de maux et d’iniquités que l’unité forcément maintenue par la coutume oppressive, ou même par l’injuste et tranquille domination de l’état sur les consciences. Au point de vue de l’utilité, on ne saurait à cet égard prononcer rien de général. Si, nonobstant ces dangers, la liberté de conscience doit être respectée, c’est tout simplement parce qu’elle est respectable, et non parce qu’elle est utile; c’est parce qu’elle est sacrée, et l’utilité n’a rien de sacré. Je ne puis donc, malgré la force d’argumentation que déploie M. Mill dans son ouvrage, me refuser à reconnaître que la notion de la liberté ressort plus complète, et plus forte, et plus pure, du livre de M. Simon. J’aime à penser comme lui que dans l’établissement de la liberté il n’y a pas service rendu, mais dette acquittée.

Les deux ouvrages au reste se recommandent aux lecteurs par des titres divers, et nous regardons comme si important de fixer l’attention des jeunes esprits sur ce grand sujet de la liberté, que nous demandons à le traiter de nouveau. Nous n’avions lu ni M. Mill, ni même M. Simon, quand les pages qui suivent ont été écrites. Les mêmes réflexions et les mêmes circonstances nous suggéraient peut-être les mêmes méditations, et l’inégalité du talent ne fera que mieux ressortir la ressemblance des idées.


III.

La liberté politique n’a jamais été commune dans le monde. Elle n’a prospéré ni sur toutes les terres ni sous tous les cieux. Souvent où elle a fleuri elle n’a pas tardé à se flétrir, et les nations qui l’avaient cherchée des yeux sont bientôt retombées en gémissant de l’avoir aperçue. Elles sont comme les privilégiées de l’histoire, les sociétés et les époques qui ont pu être libres. Dans la lice ouverte à tous les peuples, c’est le prix que bien peu remportent; c’est la couronne de l’humanité.

Et non-seulement le prix n’est pas à tous, mais à tous il n’est pas donné de le disputer. C’est déjà quelque chose que d’être entré dans