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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/351

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teurs et en contre-poids. Une locomotive n’est pas toute dans son frein. On peut donc nous demander si nous croyons avoir fait jusqu’ici la part de l’état. Où prendra-t-il sa force? Que lui restera-t-il de liberté? Est-il donc un fléau donné dont on ne doive songer qu’à se défendre? Doit-il être défini, comme le veulent certains radicaux, un mal nécessaire? Si nous prenons sur nous de poser les conditions de la liberté, ne sommes-nous pas tenus de connaître aussi les conditions du gouvernement? dans l’ordre politique, les peuples ont des droits aussi, ou plutôt un droit qui les comprend tous, c’est le droit d’être bien gouvernés. Leur avons-nous reconnu ce droit? Avons-nous pourvu à ce qu’il fût respecté en ne songeant qu’à défendre les individus par la constitution même de l’état?

Nous ne dissimulons pas que les droits des individus nous sont chers. Nous ne voudrions pas transporter dans la politique la querelle scolastique des réalistes et des nominaux : nous ne dirons pas que dans la société il n’y a que des individus; mais nous prendrons la licence de dire qu’il y a surtout des individus. Dieu apparemment n’a pas trouvé d’autre moyen pour former l’humanité que de créer des hommes. Ce sont de ces créatures de Dieu que nous agitons les intérêts et les droits, la dignité et le bonheur. Qu’on nous dise ce qui dans l’ordre moral peut être heureux et digne, sinon des hommes. Enfin, à quelque élévation qu’on les place, les sociétés finissent sur la terre; l’homme conçoit, ce me semble, une plus haute espérance. Je ne suis donc nullement embarrassé de ce mot d’individualisme que certaines écoles jettent comme un reproche à l’école libérale. L’opposé de l’individualisme, c’est, faut-il le rappeler? c’est le socialisme. Le socialisme réalise en un tout compacte, en une entité absorbante, ces abstractions, la société et l’état, et de toutes les relations, de toutes les forces qui se sont formées et développées dans la vie des communautés, de toutes ces créations artificielles que le temps a produites, il forme un être unique qui concentre tout. Ce réalisme social prend plus d’une forme. Il ne parle pas toujours organisation du travail et communisme égalitaire. Il dira bien : Les individus sont la société; la société, c’est l’état. Il finira par dire : L’état, c’est moi. Je ne connais pas de doctrine politique qui, dans son principe, faisant abstraction de l’individu, n’aboutisse à la tyrannie.

Cela dit, je tomberais dans une étrange erreur, si, après avoir stipulé pour les citoyens trop souvent oubliés et qui s’oublient eux-mêmes, j’allais omettre l’état, qui d’ailleurs ne s’oublie pas. Il a fallu présenter d’abord certaines institutions avec leur caractère défensif, parce que c’est celui qui frappe d’abord les yeux. Ce qu’on appelle libertés publiques n’est en général invoqué qu’à titre de