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de gomme gutte. Vues de près, la plupart des chevelures sont rudes, rebelles et fauves à l’extrémité, vierge de toute section; quelques-unes s’écartent même de la tête, ébouriffées, épaisses comme une toison. La couleur de la peau varie chez les différens individus : les plus foncés sont chocolat clair, mais il en est qui sont à peine cuivrés; la plupart ont la couleur du buis. Le visage des Nukahiviennes ne diffère pas très sensiblement pour la forme de celui des cholitas du Pérou. Ce sont aussi des fronts étroits, des yeux légèrement obliques vers les tempes, des nez droits, des lèvres sensuelles, des pommettes saillantes, des mâchoires un peu lourdes, et dans la physionomie une expression de douceur et de tristesse. Le grain de leur peau est fin, les chairs sont solides et luisantes comme le bronze, leurs bras ont une rondeur convenable; leurs mains, aux attaches fines, aux ongles longs et pointus, ont sous leurs mitaines tatouées une élégance aristocratique qu’envieraient bien des petites-maîtresses parisiennes.

Ce groupe de femmes nous accueillit, je dois en convenir, d’une façon assez peu glorieuse pour notre amour-propre; aussi fallut-il nous décider à faire les premières avances. Nous entrâmes en rapport par des familiarités qu’elles supportèrent avec l’indifférence que donne l’habitude et sans se départir de leur immobilité de statue. L’une d’elles s’enhardit. Voyant fumer l’un de nous, elle fit signe qu’on lui donnât un cigare. Aussitôt qu’elle l’eut reçu, avec avidité elle en aspira deux ou trois bouffées qu’elle souffla par les narines, puis, de toute la puissance inhalatrice dont elle était douée, elle en prit une dernière, l’absorba sensuellement, et passa le cigare à sa voisine. Celle-ci agit à peu près de même, et ce nouveau calumet d’entente cordiale, après avoir fait le tour de la société, revint à son premier possesseur, qui apprécia la délicatesse du procédé, mais sacrifia son cigare. Pourtant la glace était rompue, et la froideur dédaigneuse du premier accueil céda complètement à l’offre que nous fîmes de morceaux de tabac apportés à dessein. Bientôt même, pour avoir part à la distribution, elles se dressèrent à l’envi, tendant les mains, se poussant et piaillant, comme tout le personnel endormi d’un nid d’oiseau qui se réveille, s’empresse et s’agite bruyamment dès qu’on lui présente la becquée. Cette largesse nous fit faire de rapides progrès dans leurs bonnes grâces. Elles tentèrent alors pour nous questionner divers essais infructueux; mais, en dépit de notre attention et de nos efforts réciproques, nous ne pûmes nous entendre, toute notre science de leur vocabulaire se bornant à trois mots : maïtaï, qui veut dire très bien, mutaki, très bon, et aita, très mauvais. Nous savions encore que le canaque, avare de paroles, gardait un visage impassible quand il voulait dire non, et