Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mant et farouche comme cette inextricable mêlée de rameaux qui se menacent, se croisent, s’étreignent, luttent jusqu’à l’heure où, épuisés, ils tombent enfin et viennent grossir à leur tour une couche épaisse de feuilles mortes et de bois pourri, d’où, sortis déjà, ils surgiront bientôt encore sous de nouvelles formes. Des convolvulus aux feuilles larges, grasses, roulées en cornet ou étalées en assiettes, rampaient vagabonds à travers les fougères dentelées. Des herbes épaisses, triangulaires, hérissaient, semblables à des lames, cette litière que piquait çà et là le calice écarlate d’un liseron ou l’étoile blanche d’une rose de Chine. Le pandanus échevelé y plongeait ses singuliers étais; des lataniers, des casuarinas, d’autres arbres dont le corps disparaissait sous une fourrure de feuillage, formaient un dais tout festonné d’orchidées, qui, lasses de garrotter les rameaux l’un à l’autre et de les cercler de spirales sans fin, retombaient vers le sol en mille brindilles frisées. Semblable à la bouche d’une grotte, une sorte de trouée naturelle s’ouvrait dans l’épaisseur de ce feuillage que les branches du fao rayaient de hachures capricieuses. Au centre de cet espace, on voyait une petite plate-forme carrée. Sous les festons verts, sous les mailles inégales des lianes fines, quelques nattes de jonc pendaient disposées comme les nappes de l’autel. Au milieu se dressaient, entre des faisceaux de baguettes blanches et de bambous, revêtus de tresses jaunes et brunes, et portant à leur extrémité supérieure des banderoles de tapa, deux tikis sculptés grossièrement sur des arbres coupés à hauteur d’homme, et dont la plate-forme dissimulait la base. L’une de ces idoles ne différait guère du modèle connu. Elle avait des yeux larges et ronds comme des cerceaux, un rire goguenard ouvert d’une oreille à l’autre; elle appuyait sur son ventre ses deux mains, comme ces bourgeois accoutumés à faire tourner leurs pouces. La seconde n’avait pas forme humaine. C’était un bloc de bois fourchu, aux pointes dentelées en scie; sous l’angle de la fourche, un renflement s’évasait, assez semblable à celui qui sert de garde aux hampes des lances du moyen âge. Une lanière de tapa teinte en jaune couvrait l’espace compris entre ce renflement et la jonction des branches. L’une de celles-ci laissait pendre une chevelure scalpée; sur toutes deux s’étalait dans le sens de la longueur, et grossièrement sculptée, une sorte de salamandre.

Je venais de franchir le petit mur qui me séparait des images, et, voulant les étudier de près, je m’avançais dans l’herbe jusqu’au ventre, en trébuchant parmi les racines de pia (arrow-root), quand tout à coup je fus arrêté par l’aspect inattendu d’un animal tapi au pied de ces images, sous un toit de feuilles, et dardant sur moi un regard effaré. Vaguement entrevu dans l’obscurité, il me semblait