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réconciliation. Je n’ai pas besoin d’ajouter que les chefs promirent à Te-Moana de lui renvoyer sa femme, qu’ils affirmaient n’avoir point enlevée. Te-Moana fit alors à l’assistance des ouvertures relatives au projet d’établissement des Français sur l’île et à l’adhésion que pour son compte il y donnait. On accueillit cette communication avec une joie manifeste. Je constate ce fait, qui m’a toujours paru incompréhensible dès que j’ai voulu en chercher la raison ailleurs que dans la nouveauté du projet conçu. Toutes les explications relatives à nos desseins ayant été traduites et acceptées, on rédigea un acte par lequel les chefs reconnaissaient la souveraineté du roi des Français sur le pays, et chacun des assistans prêta sa main, qu’on dirigea pour la signature. Il fut ensuite convenu que la prise de possession aurait lieu le lendemain avec le cérémonial usité. Le drapeau français devait être arboré dans la baie d’Akapehi, que Te-Moana nous cédait moyennant 1,800 francs pour y créer un port et y fonder toutes les constructions nécessaires. Un pavillon fut aussi délivré séance tenante à ce chef de bonne volonté, impatient de voir flotter nos couleurs sur sa case.

Le 2 juin, l’amiral, accompagné de son état-major en grande tenue, débarqua dans l’est de la rade sur des rochers abrités par un petit morne. Te-Moana l’attendait au rivage, entouré des chefs de Taiohaë, d’Acauï et des chefs happas, dont la tribu est située derrière les montagnes de l’est. Nous gravîmes tous ensemble le morne voisin nommé Tuhiva, qui marque l’extrémité nord de la baie d’Akapehi, et, parvenus au sommet, le drapeau français fut, comme à Vaïtahu, hissé et salué de trois cris de vive le roi! vive la France! au milieu des naturels ébahis par la fanfare des cuivres, par les décharges de la mousqueterie, par la canonnade de la Reine-Blanche, qui tourmentaient sans fin les échos des vallées.

Le soleil nous avait brûlés sans relâche pendant ces formalités; aussi, la cérémonie faite, notre cortège se dispersa avec empressement. Les canaques regagnèrent leurs sombres abris de feuillage, les Français la frégate, et les chefs taïoas le canot qui devait les reconduire à la baie d’Acauï. Quand ces derniers montèrent à bord pour nous faire leurs adieux, ils nous semblèrent en proie à de graves soucis. Nous essayâmes de les dissiper en ajoutant quelques cadeaux à ceux dont on les avait déjà gratifiés; mais nos attentions furent vaines. Rien ne déridait ces fronts moroses : les bagatelles offertes étaient acceptées avec indifférence. Parfois ils se tournaient vers le rivage où un objet invisible pour nous semblait concentrer leur attention. Que regardaient-ils? qu’espéraient-ils? que désiraient-ils? Nous avions épuisé le champ des conjectures, et nous commencions à craindre que, semblables à l’enfant grec de Victor