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que ses objections contre l’introduction en France de la monarchie représentative au lieu et place de la monarchie administrative se réduisent à celles dont se sont de tout temps préoccupés les adversaires auxquels il s’adresse. Ce sont les mêmes que nous discutions avec les écrivains de la restauration. Dans un ouvrage qu’il me donne l’exemple de citer[1], je crois avoir comme lui insisté sur les différences principales qui distinguent l’Angleterre de la France, et cependant nous n’arrivons pas aux mêmes conclusions. Cela pourrait prouver qu’il n’y a pas tant de vérité qu’on le dit dans cette proposition souvent répétée : question bien posée, question résolue.

Dût-on m’accuser d’entêtement, je conviendrai que mes convictions ne sont pas d’hier. J’ai dernièrement retrouvé un manuscrit de ma jeunesse qu’il faut bien appeler mon premier écrit politique. J’étais depuis peu sorti du lycée ; on était au lendemain de la bataille de Waterloo. Jugez s’il y a longtemps ! Le titre était : De l’intérêt de la France au 20 juin 1815. Cet intérêt, c’était, disais-je alors, — voyez l’audace d’un écolier ! — l’établissement du gouvernement constitutionnel à l’exemple de l’Angleterre, et pour citer un latin qui vaut mieux que celui de l’empereur d’Autriche, ces mots d’une philippique de Cicéron servaient d’épigraphe : Utinam aliquando dolor populi romani pariat quod jamdiu parturit. Il y a quarante-quatre ans de cela, et je disais déjà jamdiu’ ; mais la jeunesse est pressée.

Ce n’est assurément pas là une autorité, et les vœux d’une jeunesse insensée peuvent ne mériter que le sourire de la maturité désabusée des générations vénérables qui dominent aujourd’hui notre société. La jeunesse actuelle elle-même semble née avec des cheveux blancs, et nos visions lui font pitié. Ce n’était pourtant pas un jeune rêveur, un chimérique utopiste que ce prince de Talleyrand qui, en remettant la couronne à Louis XVIII en 1814, lui recommandait les institutions si bien éprouvées dans un pays voisin. On n’a jamais regardé comme un novice politique, innocent et enthousiaste, ce duc d’Otrante qui écrivait à Wellington le 27 juin de l’année suivante : « Tous les regards en France sont fixés sur la constitution de l’Angleterre. Nous ne prétendons pas à être plus libres ; nous ne consentirions pas à l’être moins. » En vérité, il faut que cette opinion qu’on voudrait imputer à une anglomanie d’opposition fût alors pour ainsi dire dans l’air, puisque la jeunesse la respirait en naissant, et qu’elle était encore pour les plus pratiques des hommes d’état et les vétérans des révolutions l’inspiration de l’expérience.

  1. Voyez l’introduction de l’ouvrage intitulé l’Angleterre au dix-huitième siècle.