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nationales parce qu’elles y sont historiques. Or comment emprunter l’effet, quand on ne peut se donner la cause ? Comment faire que la France soit une île, et que ses peuples aient eu d’autres aïeux ? Dieu lui-même ne peut rien sur le passé, et le passé maîtrise le présent.

Ces objections générales, que j’ai ailleurs exposées dans la mesure où je les admets, se fondent sur une idée qui se fait accueillir assez aisément aujourd’hui : c’est que l’espèce humaine se divise en races distinctes, naturellement et exclusivement aptes à des destinées politiques qui diffèrent, comme ces traces diffèrent entre elles. J’admets des différences, et ne veux pas disputer sur le plus ou moins de saillie et de durée du relief qu’on appelle nationalité. J’irais, si l’on veut, jusqu’à assimiler ces empreintes morales, qu’on attribue si volontiers d’ailleurs à des causes matérielles, aux caractères extérieurs qui distinguent les contrées entre elles, et qui dépendent le moins de l’influence des hommes. Ce n’est pas atténuer l’importance des diversités nationales que de les comparer aux stables effets de l’invariable nature. Mais dans cette hypothèse même, et quand la géographie physique devrait seule rendre raison de tout ce qui distingue les opinions, les mœurs et les lois des sociétés, elle ne pourrait, après tout, faire cette influence plus puissante dans l’ordre social qu’elle ne l’est dans le monde organique. Or, entre les produits des diverses parties qui composent celui-ci, l’échange est-il donc impossible, et la surface de la terre est-elle soumise à un cantonnement naturel qui interdise à l’Orient et à l’Occident de s’emprunter réciproquement leurs richesses, et même au Nord et au Midi de trafiquer des espèces qui les distinguent ? Le cèdre, arraché aux sommets de la Syrie, étend ses longs rameaux dans les parcs humides de l’Angleterre. Le marronnier est venu du fond de l’Asie étaler ses feuilles en parasol et les grappes verticales de ses fleurs dans les jardins de Louis XIV. Le svelte robinier a depuis trois cents ans quitté le nord de l’Amérique pour joncher tout le sol occidental de l’Europe de ces

Fleurs d’acacia qu’éparpillent les vents.

Un arbuste de l’Arabie couvre les mornes des îles du tropique, dont les plaines se hérissent de roseaux que la nature n’y avait pas semés, et la terre aux entrailles d’or du Pérou a envoyé dans nos climats la plante modeste qui nourrit les pauvres colons de l’Irlande et les pâtres oisifs des Pyrénées. Le règne animal n’offrirait ni de moins nombreux ni de moins frappans exemples. Il prouve chaque jour que l’acclimatation est une des ressources que la nature offre