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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/566

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contre toute liberté. Aussi, dès qu’il a réussi à faire prévaloir cette fatale unité, comme il était fier, il en a fui le joug tout le premier. Il s’est à grands pas éloigné de l’église, en lui laissant sa doctrine comme le fer dans la plaie.

Le mal est peut-être sans remède, et la restauration du gallicanisme est peut-être une vaine espérance. Ce qu’on a pu désirer, c’est que, prenant plus au sérieux ce qu’ils ont dit si souvent que les libertés gallicanes étaient des servitudes, les ultramontains français renonçassent résolument à l’alliance de l’état, et que l’église, cessant d’être un pouvoir constitué pour être uniquement un pouvoir moral, s’élevât à la pure indépendance. C’est l’idée qui semble animer vaguement les éloquentes prédications du père Lacordaire ; mais cette idée, praticable en Amérique, l’est-elle de ce côté du monde, sur une terre où la puissance spirituelle s’est pendant tant de siècles regardée comme une partie de la puissance politique ?

Il suffirait peut-être qu’un homme supérieur surgît au sein de l’église, et avec l’autorité du savoir, de l’éloquence et de la piété, lui montrât la voie où elle rejoindrait l’esprit du siècle, et marcherait avec lui à la suite de cette colonne de lumière et de nuée qui lui sert de guide. On l’a dit souvent, ce qu’il faudrait à l’église, c’est un Luther sans hérésie. En attendant que ce bonheur arrive, disons qu’un régime libéral, s’il a peu de chances d’être secondé par l’église, court peu de risques d’être empêché par elle. Quand le clergé s’est attaché à l’état, la religion en a souffert ; quand l’état s’est attaché à l’église, l’état n’y a pas gagné. De bons rapports sans alliance, c’est ce qu’il y aurait de mieux. On veut que le sentiment religieux s’étende et se fortifie, on a raison ; mais, pour cela, il faut qu’il puisse se développer librement, hors de l’église même. Mettre un pays dans cette alternative, ou l’église, ou l’incrédulité, c’est faire succéder indéfiniment la tyrannie de l’une à celle de l’autre ; la politique qui dit : tout ou rien, n’a jamais réussi longtemps à personne.

La question de l’aristocratie est politiquement plus importante. Rien n’a été plus souvent écrit, et M. Menche de Loisne le répète avec de nouveaux développemens, que ceci : Sans une aristocratie comme en Angleterre, une liberté comme en Angleterre est impossible. Nous verrons jusqu’à quel point l’assertion est exacte. Le fût-elle parfaitement, elle ne prouve pas, elle ne dit même pas que, sans le pendant de l’aristocratie anglaise, la monarchie représentative soit impraticable en France. En effet, ceux qui regrettent ou désirent une aristocratie la prennent d’ordinaire comme une influence toute conservatrice. Raisonnons d’abord à ce point de vue. Si l’on