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les lumières du temps, les dépositaires du pouvoir croyaient trouver des moyens de plus de recommander leur autorité et de s’attacher les peuples. Ils se figuraient et on leur disait que le bien public, désormais mieux compris, était un lien de plus entre leur autorité tutélaire et leurs sujets, nul ne pouvant maintenant méconnaître combien la royauté était nécessaire. Et voilà que tout à coup on s’est aperçu que ce besoin de perfectionnement, que cette nécessité des réformes pouvait être la source d’inquiétudes subversives et la cause universelle de l’ébranlement des trônes ! Comment ce qui devait les affermir les a-t-il ébranlés ? Comment de l’agrandissement de leur rôle est sorti pour les rois l’affaiblissement de leur autorité morale ? On peut le deviner, et je le laisse à dire à ceux qui ne croient plus à la royauté.

Mais, quel que soit l’effet, la cause subsiste. Le besoin des réformes se retrouve en tout lieu. À Rome comme à Constantinople, à Madrid comme à Berlin, il faut changer, et on appelle le changement progrès. Ce fait est plus éclatant que la lumière du jour. Cependant réformes, changemens, progrès, ne sont pas synonymes obligés de révolution. Là est bien la cause de l’état révolutionnaire universel ; mais l’effet est moins nécessaire que la cause, et si l’effet est général, on ne peut pas dire que ce ne soit la faute de personne.

Sans compter les erreurs particulières des gouvernemens, sans insister sur l’insuffisance de la majorité des maîtres du monde, car ce sont là des accidens qui se reproduisent toujours sous quelque forme, et qu’on ne peut empêcher, il y a deux faits principaux auxquels il me semble qu’il faut s’en prendre si l’état de mobilité des sociétés modernes a partout une telle tendance à tourner aux révolutions.

Le premier, c’est la malhabile conduite, c’est la médiocrité universelle des classes anciennement supérieures de la société. Depuis un siècle ou deux, sur tout le continent européen, elles se sont persuadé qu’elles n’avaient rien à faire qu’à attendre, et tout au plus à suivre le pouvoir royal. La centralisation n’est pas partout égale, les attributions du gouvernement ne sont point partout également absolues et nombreuses ; mais en tout pays il y a eu tendance à une abdication générale dans les mains du pouvoir officiel et suprême de tout ce qui donne influence, initiative, responsabilité. En tout pays, l’ambition s’est abaissée, l’orgueil a fléchi. Ceux qui auraient pu se croire l’avant-garde de la civilisation, l’élite puissante de la société, ont borné leurs vœux à recevoir avec reconnaissance la délégation temporaire d’une parcelle de l’autorité royale et quelque reflet de son éclat, heureux quand ils ne préféraient pas à tout le privilège de jouir plus oisivement que personne des pompes de la