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le continent, — sans la centralisation, — dans une société démocratique, — avec un roi sage.

Un autre pays voisin, le Piémont, offre un spectacle d’un intérêt égal, et il a droit aux mêmes vœux, quoiqu’on ne puisse contempler son avenir d’un œil aussi tranquille. Là aussi le système représentatif s’est établi sans clergé gouvernemental, sans chambre héréditaire, en pleine liberté de presse, à la veille des émotions contagieuses de 1848. Une guerre plus honorable qu’heureuse et les sacrifices qui suivent les revers ont mis aussitôt à une critique épreuve ce gouvernement naissant, et loin que la monarchie en ait été ébranlée, la maison royale en est sortie plus populaire. Depuis lors, ce qui a agité le Piémont, ce n’est point la liberté, c’est une ambition patriotique. Si le Piémont doit avoir encore ses jours d’épreuve, ce n’est point pour des causes intérieures : c’est que de glorieux événemens, en lui donnant plus de grandeur, lui ont créé de nouvelles difficultés à vaincre. Quoi qu’il arrive, le Piémont n’est pas plus que la Belgique menacé jusqu’ici d’un renversement par les causes que l’on va chercher dans la comparaison de l’Angleterre et de la France, et pourtant tout ce qu’on dit des différences qui séparent celle-ci de celle-là pourrait s’appliquer à la Belgique et au Piémont.

Les malheurs que l’on prédit comme inévitables dans la voie de la liberté politique ne sont donc nullement certains, ou, s’ils le sont, ils auraient d’autres causes que celles qu’on allègue, et surtout il n’est pas plus prouvé par l’expérience que par la théorie qu’un peuple intelligent et éclairé ne puisse, du droit de sa raison, emprunter quelques-unes des institutions essentielles d’un autre pays ; il n’est pas vrai qu’une nation soit condamnée à être toujours gouvernée comme elle l’a toujours été. Il lui est difficile de changer de gouvernement ; il lui est difficile de conserver celui qu’elle s’est choisi, s’il a besoin pour exister de son concours, et que ce concours, elle ne sache pas le lui donner. Cependant il n’y a point là d’obstacles invincibles, et pour les vaincre, le moyen n’est pas mystérieux ; il se borne à ceci : comprendre et vouloir.


CHARLES DE REMUSAT.