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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/635

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nombre de navires à voile et à vapeur. En 1856, la Nouvelle-Orléans a reçu de l’intérieur une masse considérable de produits, parmi lesquels figuraient 1,795,023 balles de coton ; sur le mouvement total, qui s’est élevé à 1,325 millions de francs, les importations de l’intérieur ont atteint la valeur de 764,557,230 francs. Presque tout le commerce de la Louisiane avec les états du nord et du centre se fait par l’entremise de la vapeur. Après la récolte des cotons, lorsque la première crue a dégagé les bateaux qui opéraient leur chargement sur les divers affluons du Mississipi, on voit parfois jusqu’à cinquante de ces léviathans descendre le fleuve en un seul jour, portant sur leur pont et sur leurs galeries trois, quatre ou cinq mille balles de coton. La vapeur seule domine le grand fleuve ; on voit rarement des goélettes de cabotage, et les arches de Noé, informes chalands construits en poutres grossièrement équarries, ne servent plus qu’au transport des charbons de Pittsburg.

La fièvre jaune, qui sévit périodiquement en Louisiane, et pour ainsi dire veille à la porte du grand bassin mississipien, est un grand obstacle à la prospérité de la Nouvelle-Orléans, et entraîne de singulières fluctuations dans le nombre des habitans, d’une saison à l’autre. Quelques mois après avoir eu deux cent mille âmes, souvent la cité n’en contient plus que cent mille, tant la terrible maladie répand d’épouvante. Rien de plus morne que la grande ville, lorsque les miasmes de mort pèsent sur elle. Pendant les fortes épidémies, le seul bruit qui trouble le silence de la rue est celui des voitures funèbres roulant avec rapidité vers le cimetière. Aussi presque tous les étrangers, capitalistes, industriels, travailleurs, ne s’établissent-ils en Louisiane que provisoirement, et poursuivent-ils la fortune avec fureur, dans l’espérance de pouvoir s’échapper un jour vers un climat plus sain. La Nouvelle-Orléans n’est pas une patrie, c’est un campement provisoire où les nouveaux arrivés remplacent incessamment les émigrans ou les morts. Dans ses édifices même, la cité a quelque chose de transitoire, et si tout d’un coup un point commercial mieux placé que la Nouvelle-Orléans pouvait se rencontrer, cette ville ne serait bientôt plus qu’un monceau de ruines.

Le yellow fever n’est pas le seul obstacle au développement industriel et commercial de la Nouvelle-Orléans : d’autres circonstances, dont la plus fâcheuse est une immoralité sans nom, agissent d’une manière défavorable sur l’avenir de cette grande cité. On ne saurait s’imaginer à quel point les actes de violence sont fréquens dans la métropole du sud. Pendant des mois entiers, chaque jour apporte son contingent d’assassinats, sans compter les duels et les « assauts et batteries ; » souvent les auteurs des crimes restent impunis et se promènent au grand jour, d’autant