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Il y a maintenant quatre passes principales, celles du sud-ouest, du sud-est, du nord-est, et la passe à l’Outre, qui est une ramification de la précédente. C’est tantôt l’une, tantôt l’autre de ces passes qui devient la véritable embouchure, et le fleuve les reprend et les délaisse tour à tour. En effet, on comprend que le Mississipi, après avoir allongé considérablement sa maîtresse-embouchure par les alluvions qu’il charrie, cherche une autre bouche plus courte et par conséquent plus inclinée pour y déverser la masse de ses eaux ; quand cette nouvelle bouche est également projetée trop avant dans la mer, le fleuve se rejette de nouveau à droite ou à gauche pour se frayer une troisième issue. Ainsi, lors des premières tentatives de colonisation en Louisiane, la passe du sud était la principale. Il y a cent quarante ans, du temps de l’ingénieur Pauger, elle avait encore dix pieds de profondeur, et maintenant c’est à peine si elle roule assez d’eau pour faire flotter une pirogue ; on peut dire qu’elle a cessé d’exister. À la passe du sud succéda en importance celle du nord-est, où les pilotes fondèrent le célèbre village de la Balize. La masse d’eau de cette passe diminue tous les ans ; en 1853, elle n’avait plus que 2 mètres 1/2 d’eau sur la barre, et les petits caboteurs seuls osaient s’y aventurer. Depuis 1843, la passe du sud-ouest est devenue la véritable bouche du fleuve, celle dont presque tous les gros navires tâchent de forcer l’entrée. En 1853, elle avait 5 mètres d’eau ; mais elle diminue constamment de profondeur, tandis que celle de la passe à l’Outre augmente dans la même proportion. Il est probable que cette dernière finira par devenir le vrai Mississipi ; elle a déjà quatre mètres d’eau sur la barre, et, pour éviter un grand détour, presque tous les bateaux à vapeur qui font le commerce entre Cuba, les Florides et la Nouvelle-Orléans en tentent le passage.

La passe du sud-est en amont de la barre sert d’avant-port à la Nouvelle-Orléans, et les navires à voiles y attendent les remorqueurs qui doivent leur faire remonter le fleuve. Sur la rive gauche, on a déposé aussi délicatement que possible les maisons en planches d’un petit village auquel on donne par habitude le nom de la Balize, comme à l’ancien village de la passe du nord-est. Ces maisons sont si légères et le sol qui les supporte est si mouvant, qu’on est obligé de les ancrer comme des navires, de peur qu’un ouragan ne les emporte, et cependant la force du vent les fait quelquefois chasser sur leurs ancres. Là, tout est vase ; la terre ressemble à la mer, tant elle est inondée ; la mer ressemble à la terre, tant elle est parsemée de boue ; au-dessus de ce chaos, l’esprit créateur n’a pas encore volé. Le fond du Mississipi lui-même est composé d’une vase presque liquide ; les navires qui ont un tirant d’eau de 6 mètres peuvent passer sur la barre, qui n’a pourtant que 5 mètres de profondeur ;