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sable et creuser un petit sillon autour de cet objet. Il est donc certain que le passage continuel des bateaux agitateurs approfondirait l’embouchure ; mais n’en résulterait-il pas aussi que le sable grossier finirait par occuper seul le fond de la barre au point d’empêcher complètement le passage des navires qui la toucheraient de leurs quilles ? La barre serait plus profonde, mais aussi plus dangereuse. Du temps du gouverneur Bienville, la compagnie des Indes fit traîner de grandes herses de fer sur le fond mouvant du fleuve ; mais les particules plus dures de la vase finirent par former un corps solide, et si le travail n’avait pas été interrompu, la barre aurait pris la consistance du roc, et les gros navires auraient été exposés à s’y briser comme sur un écueil.

Que faudrait-il faire en définitive, demande M. Ellet, pour supprimer la barre du Mississipi ? Supprimer les alluvions, empêcher que la masse de boue arrive jusqu’à l’embouchure actuelle, c’est là ce que proposerait l’ingénieur. M. Ellet offre de rejeter, au moyen d’un canal, le fleuve tout entier dans le Lac-Borgne, et alors il ne doute pas que la force de la vague marine, se précipitant dans l’ancien lit, n’ait bientôt balayé la barre et recreusé le fleuve pour s’en faire un golfe. L’avenir montrera s’il a raison. « Les difficultés de ce plan sont grandes ; mais les millions, dit-il, ne sauraient être mieux employés qu’à donner au grand Mississipi une embouchure digne de lui. » Dernièrement deux ingénieurs de New-York se sont engagés à donner à la passe à l’Outre ainsi qu’à la passe du sud-ouest une largeur de 100 mètres et une profondeur moyenne de vingt pieds. On les verra peut-être à l’œuvre.

Le progrès des bouches du Mississipi vers la haute mer est extrêmement variable. Vers le commencement du siècle dernier, la passe du sud-est avança de deux lieues dans l’espace de vingt ans, et le village de la Balize, qui se trouvait d’abord placé sur une île à une demi-lieue en avant de la barre, finit par être situé à une lieue et demie en amont. M. Élie de Beaumont affirme que, depuis le commencement du siècle, l’embouchure du Mississipi se projette chaque année de 350 mètres plus avant dans la mer ; mais s’il parle de la passe du sud-est, qui, jusqu’en 1826, a été la principale embouchure, les faits sont loin de confirmer sa donnée, car la comparaison de la carte de Pauger, faite en 1723, et de la carte de la commission hydrographique américaine, faite en 1852, établit que pendant cet espace de temps la barre s’est avancée de 6 milles seulement, c’est-à-dire d’environ 75 mètres par an, quatre ou cinq fois moins que la vitesse de progression admise par M. Élie de Beaumont. Encore cette vitesse ne saurait-elle être considérée comme le taux moyen du progrès du delta, car le fleuve choisit alternativement l’une ou l’autre des passes pour en faire l’embouchure principale,