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que cette estimation est trop élevée : le chiffre de 80 centimètres nous semble plus rapproché de la vérité. De cette quantité d’eau tombant dans son bassin, le Mississipi reçoit environ 10 centimètres, c’est-à-dire la huitième partie ; le reste se perd dans les marécages et les forêts, ou bien s’évapore de nouveau après être tombé. Mais supposons que, par suite de l’assèchement des marécages, seulement 1 centimètre d’eau de plus soit entraîné dans le Mississipi pendant la période de l’inondation : ce ne serait que la quatre-vingtième partie de l’eau totale qui tombe dans le bassin, et cependant, répartie sur les soixante jours de la crue, cette augmentation fournirait au Mississipi de 10,000 à 11,000 mètres cubes de plus par seconde, assez pour engloutir toute la Basse-Louisiane.

Pour résister à l’énorme masse d’eau recueillie dans le vaste bassin qui s’étend des Rocheuses aux Alleghanys, les levées semblent bien faibles : à peine assez hautes pour que l’inondation probable n’en dépasse pas la crête, elles ont les côtés inclinés sous un angle de quarante-cinq degrés, et quand elles sont tant soit peu minées dans la partie inférieure, elles s’écroulent d’elles-mêmes. Imposantes par la hauteur à laquelle elles s’élèvent dans les endroits dangereux, et qui les fait ressembler alors à de véritables fortifications, elles sont en d’autres endroits si mal construites que des colonies de rats musqués en font justice, et les percent dans tous les sens de leurs galeries souterraines. Il n’est pas un canal au monde dont les berges ne soient plus larges et plus solides que les digues qui doivent contenir le puissant Mississipi. Maintenant les propriétaires riverains sont chargés de l’entretien des levées, et le gouvernement les aide quand il s’agit d’une réparation urgente. Ce soin, si important pour la sécurité publique, devrait être confié à d’autres mains que celles de propriétaires souvent obérés ; il est probable qu’une compagnie à laquelle on concéderait une double ligne de chemin de fer sur les bords du fleuve serait dans son propre intérêt meilleure gardienne de l’intérêt général.

Là cependant n’est pas la véritable solution du problème des envahissemens du Mississipi. Sur tous les points du monde, en France comme en Chine, en Italie comme aux États-Unis, il est à croire que les inondations seront tôt ou tard réprimées de la même manière par l’établissement d’un système de réservoirs jouant dans l’économie des fleuves le même rôle que le volant dans la mécanique. Les dernières inondations de la France ont ouvert tous les yeux sur cet important sujet, et l’idée énoncée par M. Rozet de saisir à la gorge tous les torrens au sortir de leurs cirques de montagnes et d’en régulariser le débit par des digues criblantes a trouvé tous les esprits préparés à l’admettre. Nous avons vu que, depuis quinze ans, M. Ellet propose une opération analogue pour régulariser le