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les guerres et les conciles, tracer un tableau de l’administration et exposer des problèmes théologiques, et si cet homme s’était trouvé, il aurait été nécessairement de l’empire contre l’église ou de l’église contre l’empire. Si même on le suppose impartial, il n’aurait pu apprécier le rôle ni de l’un ni de l’autre, parce que les conséquences en étaient encore à naître. L’église commençait humblement, on ne pouvait soupçonner qu’elle serait un jour maîtresse d’une partie de la terre. L’empire byzantin commençait avec grandeur, et on ne pouvait prévoira quel degré d’abaissement il descendrait. Pour juger une institution, il faut attendre qu’elle ait vécu. Au moyen âge, en supposant que la critique historique eût existé, écrire impartialement l’histoire de l’église et de l’empire au IVe siècle n’eût pas été possible ; cette histoire eût été nécessairement guelfe ou gibeline. Plus tard, elle a été écrite soit par des historiens ecclésiastiques étrangers à la politique, soit par des écrivains politiques étrangers à la théologie. Tillemont, malgré quelques excès de jansénisme, a donné un modèle de jugement critique, mais sans vues d’ensemble, sans chercher à animer les faits et à faire vivre les personnages ; il a disposé d’admirables matériaux pour une histoire plutôt qu’il n’a écrit une histoire. Gibbon a fait marcher parallèlement les deux parties de ce sujet, quand il l’a rencontré sur son chemin ; mais l’église avait en lui un ennemi passionné et un historien trop étranger aux intérêts qui s’agitaient dans ses luttes. L’histoire de l’église et de l’empire au IVe siècle, malgré les vives lumières qu’a jetées abondamment sur elle un regrettable écrivain, Ozanam, dont elle n’était pas le sujet principal, car son sujet était la civilisation au v° siècle, cette histoire restait à traiter, et je crois que c’était à notre temps qu’il appartenait de l’écrire.

Ce siècle est historique, parce qu’il peut être impartial. La partialité a sa place et son rôle dans l’histoire. Elle met en relief une des faces d’un temps, et par son exagération même, qui rectifie souvent une exagération contraire, elle force l’esprit à voir ce qu’il ne regardait pas, sauf, après avoir outré sa découverte, à la restreindre. Les services que la partialité peut rendre à l’histoire ne lui ont jamais manqué. Si l’observation de certains traits de la physionomie d’un temps a profité de la passion qui les mettait d’autant plus en saillie qu’elle en voilait d’autres, l’histoire a pu dire à ceux qui lui rendaient ce genre de service comme le régent à Dubois, qui lui manquait de respect dans un bal masqué : « Tu me déguises trop. » Mais il faut qu’il y ait des momens où la rumeur de l’auditoire fasse silence pour qu’on puisse entendre débattre la cause ; il faut, après les plaidoyers contradictoires et passionnés des avocats, le résumé équitable du juge. Or notre siècle me paraît se trouver dans des