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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/673

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mais dont l’événement venait de déjouer la prudence, il avait cru grossir le parti orthodoxe en lui ramenant les semi-ariens ; il voyait s’écrouler l’échafaudage de cette combinaison, que l’historien appelle généreuse, mais qui mérite encore mieux le nom d’habile. Or il faut que l’habileté réussisse ; quand elle échoue, elle ne laisse aucune consolation à ceux qui ont eu recours à elle. Aussi le désespoir de saint Hilaire fut-il extrême, et il mit alors dans son langage d’autant plus de véhémence qu’il avait mis jusque-là dans sa conduite plus de mesure. Lucifer, dont il avait blâmé l’emportement, n’était pas en ce genre allé plus loin dans la lutte qu’il n’alla dans la défaite.

Je n’ai pas voulu interrompre le récit de la grande affaire de l’arianisme ; mais pendant les phases de cette guerre de l’empire contre l’église a paru un personnage sous la domination duquel les deux partis vont entrer dans des rapports nouveaux. Tandis qu’ariens et catholiques se combattaient avec acharnement, grandissait prés du trône un prince qui devait, comme pour les punir de leurs démêlés, les mettre d’accord en les mettant hors de cause, et poser la question, non plus entre l’orthodoxie opprimée et l’hérésie triomphante, mais entre le christianisme en disgrâce et le paganisme ressuscité.

Ce personnage étrange de Julien a été compris par M. de Broglie avec beaucoup de sagacité et jugé en général équitablement. Cependant un trait malveillant échappe çà et là bien naturellement à l’écrivain catholique parlant de l’empereur apostat. Ainsi, pour mentionner un détail de peu d’importance, et qu’il n’est permis de relever qu’à Rome, il semble avoir recueilli avec quelque complaisance les indications de laideur fournies par les auteurs ecclésiastiques qui parlent de Julien. Sa lèvre inférieure, dit-il, tombait en formant une grimace désagréable. Ce défaut ne m’a point frappé dans les deux bustes de Julien qu’on voit au musée du Capitole. Du reste, M. de Broglie fait bien connaître le caractère de Julien ; il rend bien compte de ce penchant au paganisme qu’expliquent son amer ressentiment contre Constance, meurtrier de son père et de son frère, son amour pour les lettres antiques, son goût pour le mysticisme philosophique et théurgique, qui lui permettait de voir dans les mythes païens autre chose qu’un ramas de fables, enfin l’impression fâcheuse qu’avaient dû produire sur lui les déchiremens de l’église chrétienne et l’intervention tyrannique de Constance dans les débats théologiques. « Quand il se promenait à Milan, à quelques pas devant les gardes, qui ne le perdaient pas de vue, combien de fois, en passant près de la basilique, avait-il entendu l’écho des rumeurs populaires et les éclats de voix des discussions du concile ! Et la mémoire toute nourrie des dédains de Tacite et de Cicéron, que n’avait-il pas senti, que n’avait-il pas souffert en voyant ainsi la