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l’état de la propriété sont soumis à des principes communs. Les mêmes faits, les mêmes raisons agissent et sur les personnes qui exercent les droits et sur les choses qui font l’objet du droit : ainsi la hiérarchie avant 1789, après 1789 l’égalité. Comme la propriété féodale tend à conserver les privilèges sur lesquels est assise l’organisation politique, elle est par essence foncière, immobile, inaliénable ; mais lorsqu’à travers les obstacles que les événemens jettent sur sa route, l’homme s’avance et prend possession de sa personne, lorsque le travail naît, s’accroît, se multiplie et entretient dans la société une agitation féconde, un nouvel ordre de choses se prépare. La propriété mobilière paraît : elle attaque la propriété foncière. Le drame de la rivalité de la noblesse et de la bourgeoisie s’engage. À mesure que la supériorité de l’argent s’établit, la supériorité de la terre s’efface. La confusion s’introduit dans les intérêts, règne dans les mœurs, s’inscrit dans les lois. La propriété se transforme : d’immobile et relative, elle devient mobile et absolue ; de féodale la société devient industrielle. La révolution économique précède et prépare la révolution légale, qui doit changer la condition des classes agricoles.

Distinguant dans la propriété des combinaisons féodales et des combinaisons non féodales, l’ancien droit coutumier repoussait la théorie du code civil sur la propriété unique. À considérer les choses de près, il n’est rien dans les tenures féodales qui mérite les anathèmes de la postérité. Le fief est un contrat, et tout contrat est digne de respect. N’est-il plus permis de garantir une convention par des peines stipulées ou des clauses résolutoires ? Néanmoins, si les droits que le contrat de fief assurait encore au moment de la révolution ne commettaient point le crime de feindre une convention, ils avaient le tort de blesser les intérêts d’une société renouvelée, A côté des droits de rachat ou de relief[1], qui se justifiaient par leur analogie avec nos droits d’enregistrement, les retraits lignagers, censuels, féodaux[2], laissaient la propriété incertaine et livraient la terre et l’agriculture au bon plaisir des seigneurs ignorans. Les mœurs ruinèrent le contrat féodal dans sa valeur pécuniaire d’autant plus aisément qu’il était depuis longtemps dépouillé de sa valeur morale. Ce qui est vrai du fief est vrai de la censive : la censive

  1. Le droit de mutation d’un fief au profit du seigneur s’appelait rachat ou relief : rachat, parce que les héritiers semblaient racheter réellement le fief ; relief, parce que le fief était tombé à terre et qu’on avait besoin de le relever.
  2. Le retrait lignager était le droit qu’avait un parent de la ligne à laquelle l’héritage avait appartenu de le retirer des mains de l’acquéreur ; le retrait censuel consistait à reprendre par droit de seigneurie un héritage tenu à cens ; le retrait féodal donnait au seigneur le droit de retirer des mains de l’acquéreur un fief vendu par son vassal.