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le domaine direct, l’assemblée constituante pensa d’abord délivrer la propriété d’une servitude qui la grevait ; elle ne se doutait pas qu’elle dépouillait de son bien légitime le vrai, l’ancien propriétaire. Après avoir aboli les combinaisons féodales par une de ces mesures dont il faut reconnaître à la fois l’injustice en théorie et l’utilité en pratique, elle modifia les combinaisons non féodales. On n’admit plus la séparation éternelle de la jouissance et de la nue propriété. Les lois révolutionnaires déclarèrent rachetable la rente foncière, et temporaires les baux à perpétuité. Dès lors la propriété passa d’un état légalement immobile à un état régulièrement mobile ; elle entra dans le code civil unique et libérée. Il n’y eut plus pour une chose qu’un propriétaire et qu’une propriété. Tandis que le caractère aristocratique du bien avait servi aux feudistes pour classer les diverses formes de la propriété, les rédacteurs du code civil ne s’attachèrent qu’à distinguer les droits divers dont naturellement elle se compose. Avant 1789, la propriété joignait à son prix vénal le prix factice que lui conférait la hiérarchie des personnes ; depuis 1789, elle ne vaut plus que son vrai prix. Jadis la propriété coutumière pliait sous le poids d’obligations sans nombre, et s’appuyant sur les droits de mutation, les retraits, la perpétuité de la rente seigneuriale et foncière, les substitutions et le droit d’aînesse, elle prétendait rester toujours la même, à la même place, entre les mêmes mains. La propriété moderne au contraire a rompu tous ses liens et vit indépendante ; elle vit, elle marche, elle court rapide et légère dans le chemin du progrès social. Elle s’offre à qui sait la prendre, et à son passage la saisit qui veut. Où trouver un objet de comparaison plus frappant, et ne reconnaît-on pas dans ces deux propriétés l’image de deux sociétés différentes ?

Quand la propriété prend un nouveau caractère, les modes de l’acquérir et de la transmettre prennent une nouvelle forme. Dans une société qui se fixe et s’organise, le principe de la conservation des biens l’emporte. Conserver le patrimoine des familles, c’est conserver l’ordre établi ; mais quel est ce patrimoine, et la règle féodale ne varie-t-elle pas avec l’importance des biens ? Comment s’occuper des meubles et des acquêts, lorsque le commerce et l’industrie n’existent pas ? Comment asseoir sur des valeurs mobilières une situation politique ? Aussi le droit coutumier laisse-t-il les liens du sang régler dans l’ordre naturel la succession des meubles et des acquêts. Il réserve toutes ses faveurs pour l’immeuble, pour le propre, pour la terre. La terre était la source principale de la richesse, elle devient le signe de la puissance. Que dis-je ? elle s’anime, elle entre dans-la hiérarchie, elle a sa noblesse et sa roture : elle se fait homme. C’est alors qu’autour de cette terre, pour en assurer