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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/695

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de concilier l’impôt sur les vignes, puisqu’il faut le garder, avec la liberté du commerce. Lorsque le vin pourra circuler librement sans avoir derrière chaque pièce, chaque tonneau, chaque bouteille, mille employés qui le surveillent, le guettent et l’effraient, lorsque le pauvre pourra faire aussi aisément que le riche sa petite provision, la consommation augmentera, la demande s’élèvera, et le producteur paiera les ennuis et les formalités de l’impôt par la hausse dans la valeur de sa marchandise et un gain assuré.

Une certaine conformité de principes rapproche d’une part les aides et les gabelles, de l’autre les droits de traite et les douanes. Les droits de traite étaient les douanes intérieures ; les douanes sont restées les douanes extérieures. La vieille France féodale survivait, au sein de la France monarchique, dans les privilèges et les prétendues libertés de ses villes et de ses provinces : c’était elle qui avait établi les péages, les barrières, les droits de traite ; c’était elle qui les défendait encore. Heureusement ces remparts élevés contre la liberté économique dans un temps de lutte et d’anarchie vieillissaient inutiles comme les fortifications d’une place de guerre en temps de paix : ils s’écroulèrent un jour à la voix de Turgot, et quand la révolution s’avança, elle trouva devant elle des ruines que personne ne défendait plus ! Avec quelle sérénité, quelle grandeur et quelle force Turgot apprit à son siècle que la variété des saisons et la diversité des terrains amènent une grande inégalité dans la quantité des produits, que le peuple ne peut vivre lorsque les produits font défaut, et que le seul moyen de se les procurer est d’en autoriser la libre circulation ! Ces paroles mémorables prédisaient l’avenir. La disette ne sévit plus à Paris ou à Marseille, tandis que l’abondance s’étale à Bordeaux ou à Lille. À l’intérieur, la liberté compense les prix, supprime les distances et maintient en équilibre tous les besoins. Pourquoi la révolution, qui avait achevé de rendre à la France la liberté de son commerce intérieur, a-t-elle consacré la servitude de son commerce extérieur ? Pourquoi a-t-elle conservé les douanes après avoir aboli les droits de traite ? On peut affirmer que sa conduite est sur ce point en désaccord avec ses principes, et que les nécessités de la politique l’ont entraînée à des mesures que condamne la logique.

Toutefois en ce moment même le procès entre la protection et la liberté au point de vue agricole s’instruit devant l’opinion publique. Les uns veulent la liberté absolue, les autres la liberté avec un droit fixe, plusieurs le maintien de l’échelle mobile, que le gouvernement vient de rétablir après l’avoir suspendue pendant quatre ans. Quand on se rend compte du haut prix de la viande et des conditions excellentes où se trouve l’élève du bétail, quand on songe que la consommation de la