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1663). Elle était reine alors, et serait restée telle si sa misérable santé ne l’eût anéantie presque l’année suivante.

La Vallière, avancée alors dans sa grossesse, était pourtant en baisse. Elle accoucha (19 décembre 1663) ; mais, bien loin que le roi reconnût l’enfant, Colbert le fit prendre secrètement au pavillon mystérieux du jardin, et le fit baptiser sous un faux nom à une petite église de la rue Saint-Denis. Fait très inaperçu : on ne voyait que Madame et la guerre au pape. Le roi réellement préparait une armée ; il avertit le pape qu’on marcherait sur Rome si le 15 février il n’avait pas cédé. Il devait, comme amende, rendre Castro à notre allié le duc de Parme. Il devait envoyer ses deux frères et deux cardinaux. Il avait fait pendre des Corses ; il dut de plus casser la garde corse, déclarer ce peuple incapable de servir l’église, enfin éterniser le souvenir de l’événement par une pyramide qui rappellerait moins le crime des Corses que l’humiliation du saint-siège.

Le 12 février, le pape s’humilia. Le 28, le roi et Madame, pour faire pièce au parti dévot, firent à Molière l’honneur d’être parrain et marraine de son premier enfant. Solennelle justification de Molière ! le roi eût-il voulu tenir sur les fonts le fruit de l’inceste ? Siluit terra.

Molière préparait autre chose. Il ne s’endormait pas. Dès que le nonce et l’ambassade du pape furent à Paris, il eut audience du nonce, et mit à ses pieds humblement l’ébauche d’une pièce qui s’appelait Tartufe. Molière avait observé que certaines gens, laïques sans caractère et sans autorité, sous ombre de piété, se mêlaient de direction, chose impie et contraire à tout droit ecclésiastique. Ces intrus, intrigans, hypocrites, usurpaient le spirituel pour s’emparer du temporel, autrement dit du bien des dupes. Rien ne pouvait servir la religion plus que de démasquer ces directeurs laïques. Le légat fut édifié, et vit bien qu’on l’avait trompé en disant que les gens du roi étaient ennemis de l’église. Muni de son approbation, Molière eut sans difficulté celle des prélats ultramontains, qui se réglaient sur le légat. La pièce ne pouvait plus avoir pour ennemis que de mauvais sujets suspects d’illuminisme, ou des gallicans endurcis, des cuistres jansénistes. Molière expressément a fait Tartufe illuminé. Il dit à son valet Laurent : « Priez Dieu que toujours le ciel vous illumine. » C’est dire que, dans les trois degrés de la vie mystique (l’ascétisme, l’illumination et l’union), le valet est encore au second degré illuminatif, mais son maître est monté à la vie unitive, il est uni à Dieu, perdu en Dieu, ainsi que Desmarets de Saint-Sorlin, le pieux personnage qui fit brûler Morin.

Pour se réconcilier les courtisans et faire passer Tartufe, Molière