Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marguerites. Cette fleur de l’ancienne France devait-elle refleurir par elle ? Verrait-on de nouveaux Valois briller près de la forte (quelque peu lourde) branche de Bourbon ? C’était un espoir de Louis XIV. On croyait bien que l’unique enfant mâle qu’ait eu Madame, le petit duc de Valois, pourrait être un François Ier. Il mourut au berceau, irréparable perte dont elle ne releva jamais bien. Les quatre années qu’elle vécut depuis furent une suite de maladies. Elle fut deux fois encore enceinte, non sans danger ; sa taille était un peu tournée ; ce défaut de conformation devait marquer de plus en plus.

Dans l’été de 1667, elle fit une fausse couche et reçut en même temps deux très sensibles coups. Le roi, qui vint de Flandre la voir, la consoler, avait pris justement à ce moment une maîtresse, et la plus odieuse, la méchante, la moqueuse, la Montespan. Dès l’hiver, elle remplit tout de sa grosse personnalité. En même temps Monsieur, subjugué et décidément femme, eut un ami en titre, le chevalier de Lorraine, son cavalier, qui lui donnait le bras et le menait au bal, en jupe, minaudant et fardé. Désormais c’est une autre cour, et nous sommes tombés d’un degré. La médiocrité du roi, sa matérialité pesante apparaissent sans remède dans l’objet de son choix. Le scandale du double adultère s’affiche hardiment, effacé par la honte d’un frère avili.

Avec ces mœurs grossières, le charme doux et fin de Madame n’avait plus guère chance d’agir. À vingt-deux ans déjà, elle dut chercher l’influence par des moyens plus sérieux. Elle avait confiance dans un certain Gascon, Cosnac, son aumônier, évêque de Valence, qui brûlait d’avoir le chapeau, et pour cela travaillait de son mieux à la rendre ambitieuse. C’était un homme laid, à mine basse, de beaucoup d’esprit, de vigueur peu commune. Il lui fit entendre que peut-être il y avait encore moyen de relever Monsieur, de le tirer du bourbier. Les deux époux, se rapprochant et s’appuyant de Charles II, auraient plus de poids près du roi. Pour cela, il fallait affermir Monsieur et le rendre un peu homme, le produire et le faire valoir. Madame entra dans cette idée. À l’entrée de la guerre de Flandre, elle écrivit à Charles II pour qu’il obtînt du roi que Monsieur commandât l’armée.

Je n’ai rien vu de plus comique que ce tableau de Monsieur allant en guerre à la remorque du prêtre qui le traîne. Cosnac ne se ménage pas : il va à la tranchée pour que Monsieur y aille ; mais Monsieur dit qu’il n’est pas confessé… A cela ne tienne ! on l’absout, on le pousse en avant. Vaines espérances des hommes ! Un matin descend chez Monsieur son chevalier de Lorraine. Monsieur redevient femme. Cosnac n’en peut plus tirer rien. Il reste dans sa tente