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ment. Nous avons été néanmoins frappés autant que tout le monde du discours où l’empereur, devançant le jugement de l’opinion, encore ignorante des conditions précises de Villafranca, a lui-même apprécié la paix qu’il venait de conclure. La courageuse franchise du discours impérial n’est certes pas son moindre mérite. Aux grands personnages qui étaient venus le féliciter, et dont les discours, illustrés parfois des souvenirs de l’antiquité romaine, ne respiraient, comme il est naturel, que l’admiration et l’allégresse, l’empereur n’a point dissimulé qu’il était moins satisfait qu’eux des résultats politiques de la guerre. En leur répondant, il semblait parler à un grand interlocuteur invisible, l’opinion publique. Et en effet, après avoir eu connaissance des préliminaires, dont les journaux allemands nous ont révélé le texte avec une exactitude reconnue par lord John Russell, nous ne pouvons qu’approuver le ton de regret qui règne dans le discours impérial. Non-seulement il est douloureux de terminer la guerre qui devait rendre l’Italie libre jusqu’à l’Adriatique sans avoir affranchi Venise, mais il est pénible de laisser les forteresses lombardes, Peschiera et Mantoue, entre les mains de l’Autriche, et de ne donner à la Sardaigne qu’une province menacée par les citadelles qui auraient dû être ses défenses naturelles. Nous ne pouvons que nous incliner devant les raisons qui ont décidé l’empereur à souscrire à ces conditions, car ce sont justement celles que nous faisions valoir nous-mêmes au commencement de cette année comme devant détourner la France d’entreprendre cette guerre, et ces raisons, que la prévision seule pouvait alors saisir, nous reviennent avec l’autorité de l’expérience, achetée par ce sang précieux dont l’empereur a parlé. Tout en faisant la part des mécomptes, l’empereur a cependant exprimé des espérances dans la fécondité de la paix qu’il a conclue. Nous nous associons volontiers à ces espérances, et nous dirons tout à l’heure, en revenant sur les termes des préliminaires, à quelles conditions elles peuvent, suivant nous, se justifier.

Parmi les obstacles que l’empereur a signalés comme l’ayant arrêté dans son entreprise italienne, celui sur lequel il a le plus insisté est le mauvais vouloir de l’Europe. Il a montré l’Europe en armes prête à disputer nos succès ou à aggraver nos revers ; il a hardiment avoué qu’il avait fait la guerre contre le gré de l’Europe, et même devant le corps diplomatique il s’est plaint de l’injustice de l’Europe envers lui. Sur ce point, l’empereur savait assurément mieux que nous l’état exact des choses : nous ne pouvons que recueillir une pareille révélation et en faire notre profit ; mais une déclaration analogue de l’empereur d’Autriche a, comme nous l’avons dit, produit des contestations qui ont répandu de nouvelles lumières sur les dispositions de l’Europe à l’égard des belligérans. L’empereur d’Autriche s’est plaint, lui aussi, du mauvais vouloir de l’Europe : il est, allé jusqu’à dire que, s’il a consenti à un traité qui lui coûte la Lombardie, c’est non-seulement parce que l’appui de ceux sur lesquels il avait cru pouvoir compter lui faisait défaut, mais encore parce que ses alliés naturels voulaient lui imposer des conditions plus désavantageuses que celles qui lui étaient proposées par la France. Cette déclaration a excité une surprise universelle dans le monde politique : l’on ne pouvait s’expliquer en effet comment le mauvais vouloir de l’Europe était ainsi doublement invoqué, et devenait le