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commerce redoutent tant le retour. Les Anglais aussi savent que l’on contracte souvent dans les congrès des responsabilités onéreuses qui, inaperçues au moment où on les accepte, vont à l’improviste lourdement peser sur l’avenir. Cette même école économique, qui a pris tant d’empire en Angleterre par le triomphe de la liberté commerciale, a propagé ces défiances à l’endroit des combinaisons de la diplomatie ; elle répète volontiers le mot de lord Macaulay à propos des négociations de Ryswick : ce sont les ambassadeurs qui font la guerre et les généraux qui font la paix. Ce sentiment répandu généralement dans les classes moyennes, industrieuses et libérales, se complique, dans les circonstances actuelles, d’une autre considération que les chefs du parti tory font valoir avec habileté, et que M. Disraeli a résumée avec une adroite et piquante concision. Les Anglais n’ont point approuvé la guerre que nous avons entreprise en Italie, et savent se rendre compte des difficultés attachées à la brusque paix que nous avons conclue. « Nous avons blâmé la guerre, disent-ils ; nous ne sommes responsables en aucune façon des difficultés inextricables qui la suivent ; pourquoi irions-nous tendre la perche à ceux qui ont dédaigné nos conseils et contracter des engagemens qui nous plongeraient peut-être dans des embarras semblables à ceux où nous les voyons se débattre ? " De tels argumens peuvent être d’une tactique adroite pour un parti qui cherche à s’appuyer sur des préjugés populaires afin de ressaisir le pouvoir ; mais ils sont d’une politique étroite. Les peuples et les gouvernemens ne sont pas seulement responsables de ce qu’ils font, ils le sont souvent aussi de ce qu’ils ne font point, et les péchés d’omission ne sont pas en politique les moins sévèrement punis. Croit-on que si la paix actuelle ne rend pas la vie à l’Italie centrale et le repos à la péninsule, l’Europe tout entière et l’Angleterre avec elle n’auront point à en souffrir ? Enfin une autre nuance d’opinion, beaucoup moins nombreuse, mais qui, dans l’état de partage presque égal où sont les deux grands partis qui divisent la chambre des communes, peut fournir dans les votes décisifs un appoint important, l’opinion catholique, se montre hostile au congrès, parce qu’elle comprend bien que le ministère libéral anglais ne pourrait manquer d’y poursuivre le redressement des abus du gouvernement pontifical. C’est à tous ces sentimens et à tous ces intérêts que répond la motion présentée par lord Elcho, laquelle a pour objet d’obtenir de la chambre des communes une manifestation d’opinion contraire à la participation de l’Angleterre à un congrès. Cette situation embarrasse évidemment le ministère actuel ; lord Palmerston et lord John Russell voudraient visiblement prendre part à une conférence sur les affaires d’Italie, mais ils craignent de se heurter contre une majorité parlementaire hostile, et ils sentent que plusieurs de leurs amis leur échappent dans cette question. De là les précautions qu’ils ont apportées dans leur langage. Ils disent qu’ils n’ont point arrêté encore leur conduite, et demandent à la chambre de faire comme eux, d’attendre les événemens, car ce sont les faits qui montreront à l’Angleterre s’il lui convient de s’occuper, de concert avec l’Europe, du règlement des affaires italiennes. Ils ne prendront de décision, assurent-ils, que lors que la paix aura été signée à Zurich, et qu’ils en connaîtront exactement les conditions ; ils ne feront partie d’une conférence que si l’Autriche elle-même