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littéraire, où il est à peine question d’Auguste, au commencement et à la fin ; ceci soit dit sans vouloir aucunement méconnaître la bienveillance extrême d’Auguste à l’égard des écrivains de son temps. Auguste y mettait de la coquetterie, et n’épargnait rien pour les gagner, jusqu’à écouter avec une patience admirable la lecture de leurs vers, quels qu’ils fussent. Tout ce que nous voulons prouver, c’est que Horace et Virgile vécurent loin de cette quasi-familiarité qu’on suppose entre eux et Auguste. On se les figure volontiers ayant auprès de lui une position officielle, comme Racine auprès de Louis XIV remplissait les fonctions d’historiographe et de lecteur, de gentilhomme de la chambre. Rien n’est plus faux que ce préjugé.

Auguste n’en réussit pas moins à obtenir d’eux ce qu’il voulait, c’est-à-dire des éloges. Encore ici faut-il s’entendre. Leurs vagues éloges ne portent guère le signe auquel on reconnaît la sincérité des éloges, — la précision. Une fois en frais d’adulation, ils pouvaient faire d’Auguste un honnête homme ; ils se contentent d’en faire un dieu : pure distinction honorifique, fort commune dans l’antiquité, et qui n’engageait pas à grand’chose. Déjà, dans les derniers temps de la république, plusieurs provinces avaient déifié leurs proconsuls, espérant sans doute acheter par cette apothéose un adoucissement à leurs maux. Bientôt la divinité fut de règle pour tous les césars. Les moins indépendans de leurs sujets leur refusèrent longtemps le titre de maître (domirpus), dont l’équivalent est si commun dans les temps modernes. Auguste même le repoussait avec humilité ; quant au titre de dieu, il faisait moins de façons. L’apothéose était sans conséquence. Sit divus, dum non sit vivus, disait un empereur de son frère, qu’il faisait tuer. Ceux dont on ne voulait pas sur la terre, on les plaçait volontiers au ciel. L’antique olympe était si peuplé, et on y était d’ailleurs en si mauvaise compagnie, qu’un dieu de plus ou de moins ne comptait pas. Aussi les gens d’esprit comme Tibère ou Vespasien étaient les premiers à plaisanter sur leur propre divinité ; au milieu de tous leurs titres, ils dédaignaient de se parer de celui-là, comme de nos jours les plus ornés de décorations négligent de porter à leur brochette certaines croix trop prodiguées. Il faut sans doute blâmer Virgile et Horace d’avoir des premiers donné l’exemple de ces tristes apothéoses ; mais il faut observer aussi que déjà on n’y faisait guère attention.

Quelle que soit d’ailleurs la valeur de cette idolâtrie de commande, où pour ma part je ne puis voir qu’une formule de politesse, il est certain qu’en attendant l’installation d’Auguste au ciel, Horace et Virgile dès ce monde se tenaient loin du dieu, et à une distance très respectueuse. Virgile n’avait point les habitudes d’un homme de