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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/798

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la littérature sous son règne. Quand on s’efforce de représenter la gloire de la poésie sous Auguste comme un fruit du despotisme, on oublie que la poésie et les poètes jouirent en général sous son règne d’une sorte de liberté relative : tout allait changer sous ses successeurs. Au despotisme intelligent et astucieux allait succéder le despotisme violent et brutal, bien cru et bien vert, tel que le rêvait Galiani pour le plus grand bien des lettres. Cette fois les lettres n’y ont pas gagné.

C’est en effet un phénomène assez remarquable que la stérilité presque absolue qui frappa la pensée littéraire dès la seconde moitié du règne d’Auguste, et qui continua sous les règnes suivans. D’Ennius à Virgile, du vieux Caton à Tite-Live, la littérature romaine présente une suite ininterrompue d’écrivains remarquables dans des genres très divers ; les dernières années d’Auguste marquent déjà par le seul nom qu’elles présentent, celui d’Ovide, une littérature énervée ; sous Tibère et sous Caligula, le silence s’établit. L’historien Velleius et le fabuliste Phèdre, dont aucun ancien n’a fait mention, voilà toute la littérature de cette époque.

La pensée reprend quelque vie à deux époques seulement sous les césars : d’abord sous le règne relativement plus doux de Claude et pendant les premières années de Néron, ses années libérales, — puis sous le régime exceptionnel de Trajan. Ces deux résurrections sont marquées d’un caractère bien singulier : le despotisme, un instant suspendu, pèse encore sur l’intelligence, et lui imprime toujours la même et invariable direction.

Il ne faut pas médire de ce qu’on a appelé les écrivains de la décadence latine. On se donne trop beau jeu en s’acharnant sur un versificateur comme Stace, poète vraiment né pour faire les beaux jours littéraires d’un Domitien, écrivain creux et sonore, sans idées et sans passion, au point de vue politique l’innocence même. Il n’en faut pas moins souhaiter à toute époque des génies aussi richement doués que Tacite et Juvénal. Voilà la vraie, la pure littérature latine, sans mélange d’imitation grecque, vraiment nationale, âpre, énergique, romaine en un mot, abordant enfin la réalité contemporaine et la serrant d’une puissante étreinte ; mais s’ils s’y intéressent, eux et les autres écrivains remarquables de ce temps, c’est de la même façon, par la haine. Dans un court intervalle de liberté, si le génie romain peut un moment respirer, si la parole lui est rendue, il se hâte d’en profiter pour maudire, pour se soulager entre deux oppressions, celle qui vient de finir, celle qui va suivre, et qu’il pressent avec la clairvoyance du désespoir. Sous l’empire, la littérature élevée est toute d’opposition : c’est une malédiction perpétuelle ; c’est la satire sous toutes ses formes. Cette fois enfin la littérature