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pour la destination qu’indiquait l’affluence du poisson. Les cinq cents lieues de pourtour de Terre-Neuve, déchirées par les convulsions terrestres dans les âges de cataclysme et par les flots dans les jours de tempête, se montrèrent heureusement découpées, comme par une prévoyance bienfaisante, en golfes ou en baies, dentelées en une infinité d’anses et de criques offrant aux migrations des poissons de vastes et profonds espaces, aux pêcheurs des havres de grâce et des ports. Les plages, parsemées de cailloux et couvertes de sables, furent jugées des grèves commodes pour y étaler et sécher les récoltes de la mer. Les forêts de l’intérieur, épaisses, sinon hautes, fourniraient du bois pour les navires, pour les habitations, pour le chauffage. Dès lors les navigateurs abordèrent avec courage ces terres d’une apparence peu hospitalière, et, pour assurer leur prise de possession, la mirent à l’abri du drapeau de leur patrie. Les Français s’établirent sur la côte méridionale autour du lieu qui reçut d’eux le doux nom un peu hasardé de Plaisance, les Anglais sur la côte orientale autour de Saint-Jean. De ces bords, comme d’une solide base d’opérations, les uns et les autres, excités par le besoin, par l’ardeur du gain, par la rivalité de métier et de nation, sondèrent avec leurs filets et leurs lignes toutes les eaux environnantes, et lancèrent leurs bâtimens jusque sur le Grand-Banc, où ils rencontrèrent de nombreux navires équipés par l’Espagne et le Portugal.

Telle fut l’origine du renom de Terre-Neuve et la cause première de son importance. À travers les vicissitudes politiques, cette île avec ses dépendances n’a cessé d’être depuis trois siècles la principale source qui répand dans le monde un aliment bien humble, mais bien utile. Ce n’est pas que la morue ne se trouve ailleurs : on la pêche en maints autres lieux, au large de la mer de l’Islande, le long des côtes de l’Écosse et de la Norvège, autour des îles Fœroë et Shetland, sur le Dogger-Bank, qui est situé à portée de l’Angleterre, du Danemark et de la Hollande. Une variété estimée, quoique plus petite, fréquente le large canal qui s’étend entre les Canaries et l’Afrique occidentale ; l’espèce commune peuple le détroit de Behring et les immenses plaines liquides au nord de l’Océan-Pacifique. Malgré toutes ces concurrences, Terre-Neuve a conservé sa popularité, parce que nulle part le poisson n’est pêché, préparé, expédié au loin par une flotte commerciale aussi nombreuse. Depuis la décadence maritime de la race espagnole et portugaise, cette flotte se répartit entre trois peuples seulement, la France, l’Angleterre et les États-Unis. Parmi les navires français, les seuls dont nous voulions suivre avec détail les opérations, une partie est équipée sur place, à Saint-Pierre ou Miquelon ; le reste, en nombre bien supérieur, est