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membre utile et actif. Cet instinct de puissante personnalité n’a pu que croître au contact des citoyens libres de l’Angleterre et des États-Unis, et il n’a pourtant pas altéré les caractères originels. Comme leurs ancêtres, les Acadiens de nos jours sont simples, honnêtes, hospitaliers, religieux, indomptables au travail, courageux sans bravade. Chez eux se perpétue la vie patriarcale des familles acadiennes des xvie et xviie siècles, fidèle reflet des mœurs provinciales de ces temps et de la race française, à la fois très sociable envers les étrangers et très persistante dans son type propre.

Faute de chants et de légendes qui aient conservé les traditions, les souvenirs des Miquelonnais ne remontent pas jusqu’à cette époque éloignée. Leur patriotisme rétrospectif s’arrête aux guerres de la révolution et de l’empire, pendant lesquelles leurs pères firent beaucoup de mal au commerce anglais par des courses audacieuses qui les conduisirent presque tous sur les pontons britanniques, d’où ils s’échappèrent. Les noms des corsaires les plus fameux se conservent dans la mémoire des familles, grâce aux récits du bord et du foyer. Cependant le voile de l’oubli s’étend peu à peu sur ces réminiscences d’un autre âge, et les chansons du gaillard d’avant, qui retentissent plus souvent que les hymnes guerriers, attestent des élans de cœur plus amoureux que belliqueux et des haines amorties par une longue paix.

La population permanente de Saint-Pierre et Miquelon est d’environ 1,500 habitans : elle ne croît que bien lentement, quoiqu’elle participe à la fécondité des races ichthyophages, que favorisent des mariages précoces et les charges légères d’une famille de pêcheurs à qui tout nouvel enfant promet un surcroît de bras utiles. Pourtant l’air est pur et d’une salubrité exceptionnelle. Il faut dire que ce climat, si fortifiant pour les adultes, est des plus sévères pour tous les êtres faibles : les robustes seuls lui résistent. Les accidens de la vie de mer enlèvent aussi beaucoup d’hommes. Enfin l’espace manque à l’ambition, et l’on voit des jeunes gens émigrer aux États-Unis et au Canada, où ils iront rejoindre les débris épars des antiques souches de la Bretagne et de la Normandie. De ces provinces, en y ajoutant le pays basque, partirent les premières et peu nombreuses familles qui allèrent peupler la Nouvelle-France. Depuis le jour où nos établissemens tombèrent de nos mains dans des mains étrangères, le courant a cessé d’atteindre le continent ; mais il se dirige toujours vers l’ouest, s’arrêtant en route, au Grand-Banc, à Terre-Neuve, à Saint-Pierre. Nos populations maritimes n’ont plus voulu coloniser pour le profit de l’Angleterre, mais elles pêchent toujours pour elles-mêmes.

La grande pêche est une industrie spéciale qui se naturalisa de