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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/851

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la banquise, ont avancé le dégel. Il n’est pas inoui que les glaces retardent les opérations jusque vers la mi-juin, et c’est dans une courte période de trois mois à peine qu’un navire doit compléter son chargement. Pour mener à bien toutes les opérations en si peu de temps, il ne faut pas moins par navire de cinquante hommes, dont une partie s’embarque, l’autre reste à terre. Tout le poisson est journellement rapporté sur les échafauds dressés au bord de la mer et séché sur les grèves, de manière à former une seule pêche continue. Cette pêche ne prend toute son importance qu’à l’approche des capelans, qui arrivent en masses tumultueuses et énormes ; alors les morues, affriandées et comme enivrées, se précipitent en tout sens sur leurs bandes, et dévorent avec une gloutonnerie stupide l’appât que leur lancent les pêcheurs.

Les procédés de pêche diffèrent aussi suivant les stations. Au Grand-Banc, le navire, qui doit passer de longues semaines en mer, jette une ancre, et détache des chaloupes qui se mettent isolément en quête du poisson. Chacune d’elles laisse tomber deux lignes qui se fixent au fond par un grappin, et supportent cinq ou six mille hameçons. Le lendemain, les lignes sont relevées et le butin porté sur le pont du navire. À Terre-Neuve, les navires restent au mouillage, et envoient au large, dès le point du jour, des barques faire la pêche de l’appât et de la morue suivant divers procédés, parmi lesquels les plus usités sont la seine et la ligne à la main. La morue se presse quelquefois autour de la barque en troupes si serrées qu’on peut la faucher, c’est-à-dire l’atteindre et l’enlever au moyen de lignes armées de crocs sans autre appât qu’un simulacre de poisson en métal ; mais ce procédé est aujourd’hui défendu, comme blessant et faisant périr le poisson.

Les Anglais et les Américains accusent la ligne de fond de détruire le poisson et d’appauvrir la mer au préjudice de l’avenir. Se croyant plus sages que les Français, avec moins de règlemens, ils restent fidèles à l’antique procédé de la pêche à la ligne de main et à la dérive, et ils en obtiennent d’aussi bons résultats. Leurs prévisions, après avoir paru justifiées par quelques années de pêche mauvaises ou médiocres, ont été dernièrement démenties par un retour de bonnes années, ce qui semble établir que les engins plus ou moins destructeurs n’ont guère d’effet sur un poisson dont la fécondité dépasse l’imagination, car un patient naturaliste a compté 9,300,000 œufs dans le ventre d’une seule morue. Devant ces immenses récoltes que la nature renouvelle avec une inépuisable libéralité, et qui n’ont à craindre ni sécheresses ni grêles, il semble que l’humanité doive se rassurer.

De la main du pêcheur, la morue passe dans celle du décolleur, qui détache la tête, fonction que le chirurgien du bord cumule avec