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riture, pour le règlement, pour le commandement, et sur tous ces points il rappelle les grognards de l’armée de terre, qu’il imite encore en ce que, comme eux, il prend vivement la défense de ses chefs contre qui les critique, surtout quand il n’est plus sous leurs ordres. Aussi tout capitaine initié aux petits secrets du cœur marin recrute-t-il volontiers son monde pour les plus rudes campagnes non parmi les graviers, à qui le pacifique étendage des morues a valu le nom ironique de peltats, mais parmi les vrais pêcheurs. La navigation au long cours fournira des gabiers plus lestes, non de plus solides hommes de manœuvre. Dans un air froid, saturé d’oxygène, imprégné d’émanations salines, la santé s’est fortifiée, comme on le voit à la bonne mine des équipages revenant de Terre-Neuve, bien différens de ceux qui ont traversé la zone torride.

L’organisation hiérarchique seule laisse peut-être à désirer. Par une faveur exceptionnelle, le capitaine de pêche peut n’être qu’un simple maître au cabotage, grade qui est à la portée de tout matelot quelque peu intelligent et expérimenté. Ses inférieurs sont donc à peu près ses égaux, sauf le titre, et de plus ses associés en participation. Aussi deviennent-ils pour lui des camarades, ce qui n’arrive pas avec les capitaines au long cours, marins plus instruits, mais moins habiles pêcheurs. Cette familiarité, qui dégénère quelquefois en insubordination, a bientôt disparu avec les circonstances qui l’ont fait naître, et de la pratique des pêches il ne reste qu’un excellent apprentissage de la mer.

Trop heureux les cultivateurs, s’ils connaissaient leurs biens ! s’écriait Virgile dans un élan d’admiration pour la vie rurale. On surprend en soi la même exclamation à la pensée des spectacles charmans ou grandioses que la nature déploie sous les yeux des pêcheurs de Terre-Neuve. En ces latitudes, dans les longs jours d’été, les crépuscules du soir se fondent par des nuances limpides avec l’aube du matin. Durant les nuits sans brume, l’azur du ciel resplendit et les étoiles brillent avec un éclat qui rappelle les nuits tropicales. Sur la brume elle-même s’allongent mystérieusement les fantômes du mirage, nouveaux sujets d’étonnement. Des aurores boréales presque quotidiennes illuminent le firmament d’arcs lumineux ou d’aigrettes flamboyantes. Au lever et au coucher du soleil, les montagnes de glace, comme de gigantesques pyramides, se colorent de vifs rayons et de noires ombres. Sur la mer, des myriades d’insectes et de poissons allument un incendie de leurs reflets phosphorescens. Les grands souffleurs animent la scène par les colonnes d’eau qui jaillissent bruyantes de leurs évens, et les poissons de toute taille par leurs ébats. Même sous ces froides zones que l’on croirait vouées à l’immobilité de la mort, la vie circule dans les airs et