Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/860

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dès lors sa puissance y devint inattaquable. Aux États-Unis, Boston, grandi, comme Halifax, par la pêche sédentaire, montre comment une industrie que la philosophie sociale incline peut-être à reléguer parmi les plus humbles occupations du peuple assure, aux jours des luttes, la puissance politique : de Boston partit le premier cri de l’indépendance américaine. Afin de se créer une marine plus encore que pour s’enrichir, ses habitans avaient acheté aux Acadiens le droit de pêcher dans les eaux de leur presqu’île. Charles-Quint faisant élever un monument à Beuckels pour avoir découvert le meilleur procédé de saler et encaquer le hareng, pour avoir assuré par cette invention la prépondérance maritime de la Hollande, montrait en quelle estime la politique doit tenir les plus vulgaires industries.

Les pêcheries sont donc la réserve des flottes de l’état, et leurs matelots sont l’âme des vaisseaux de guerre. De cette vérité dérivent les encouragemens de diverse nature qui leur ont été accordés. Les modes d’encouragement sont multiples : l’exemption de droits pour le sel indigène et l’autorisation de s’en procurer à l’étranger, la franchise d’entrée pour la morue dans la métropole et les colonies et des taxes sur les similaires concurrens, enfin, le plus important de tous, les primes, soit à l’armement, soit aux produits, votées pour une période décennale. Empruntées avant la révolution à l’histoire de l’Angleterre et de la Hollande, abandonnées pendant la période de nos luttes, ces primes furent rétablies par la restauration, noblement impatiente de remplacer les générations de matelots qui avaient péri dans les combats de mer et sur les pontons anglais. La loi du 22 juillet 1851, aujourd’hui en vigueur, accorde une allocation de 50 francs par homme pour les armemens de pêche avec sécherie, et de 30 francs sans sécherie, en outre une seconde allocation de 12 à 20 francs par quintal métrique de morue exportée, suivant la destination plus ou moins éloignée. Une prime de 20 francs est aussi accordée par quintal de rogue ou œufs de morue. Le montant total de ces faveurs représente une dépense annuelle de 3 ou 4 millions. Au prix de ce sacrifice modéré, l’état assure l’apprentissage et l’entretien permanent de 13 ou 14,000 matelots[1] toujours prêts à répondre à son appel. C’est environ 300 francs par tête ; il lui en coûterait 1,000 de les avoir à bord de ses navires. On ne saurait imaginer, depuis que la perte de ses meilleures colonies a enlevé à la France les élémens principaux de sa navigation, un moyen moins onéreux de maintenir intacte et de renouveler sans cesse une des bases essentielles de la puissance nationale.

  1. En 1858, les navires chargés partis de France étaient montés par 14,690 hommes.