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des athées confondus. Toute secte a son recueil d’histoires pieuses où Satan et les sectes rivales sont fort malmenées, et c’est surtout un livre de ce genre que Cartwright a voulu écrire à l’honneur du méthodisme américain. Seulement, comme il puise dans ses propres souvenirs, il ne peut éviter, tout en faisant la guerre au démon, aux baptistes, aux unitaires et aux universalistes, de se mettre quelquefois en scène, et alors, sur ce fond monotone et beaucoup plus moral qu’amusant, se détache en traits vifs et piquans une puissante et originale personnalité.

Pierre Cartwright est né le 1er septembre 1785 sur les bords de la rivière James en Virginie. Ses parens étaient pauvres, et son père, qui avait porté les armes pendant la guerre de l’indépendance, se résolut, la paix faite, à émigrer au Kentucky avec toute sa famille. Après avoir résidé quelque temps dans le comté de Lincoln, il poussa plus avant encore, et s’établit définitivement en 1793 dans le comté de Logan, à l’extrême limite des établissemens européens, à quelques pas de la frontière actuelle du Tennessee. Pierre Cartwright ne connut donc d’autre existence que celle des pionniers ; il grandit au milieu des forêts, et pour toute éducation première il apprit à lire, à écrire et à compter très médiocrement. Il se livra avec ardeur à tous les divertissemens en vogue parmi les émigrans, et son père le rendit le plus heureux des enfans en lui faisant présent d’un cheval de course et d’un jeu de cartes. Ses goûts dissipés contrastaient sa mère. Celle-ci était une femme d’une piété rigide ; elle s’était convertie au méthodisme en Virginie, et elle se tenait en rapports constans avec les prédicateurs méthodistes qui visitaient de temps en temps ce coin reculé du Kentucky. Les remontrances maternelles finirent par jeter un certain trouble dans l’âme du jeune Cartwright, et il était depuis plusieurs mois dans une grande perplexité, lorsqu’un camp religieux eut lieu à trois milles de la maison de son père. Il s’y rendit avec la foule, qu’attirait la réputation de John Page, prédicateur méthodiste en renom, et l’éloquence du missionnaire mit fin à ses doutes. Il se fit recevoir dans l’église méthodiste, il avait alors seize ans. L’ardeur de son caractère se tourna aussitôt vers la religion : dans les réunions pieuses, auxquelles il assistait désormais régulièrement, il se sentait irrésistiblement entraîné à prendre la parole ; il montait sur un banc, priait à voix haute, ou prononçait des allocutions dont la ferveur et le ton passionné remuaient les assistans. Aussi, quelques mois après, à la réunion trimestrielle du printemps de 1802, le prédicateur en titre vint droit à lui, et lui remit, à sa grande surprise, un brevet régulier d’exhortateur. Il essaya vainement de refuser ; le prédicateur était convaincu de sa vocation, et lui fit un cas de conscience